Jon Roberts & Evan Wright : American Desperado

 

Le sous-titre d’American Desperado, « Une vie dans la mafia, le trafic de cocaïne et les services secrets », commande que l’on présente précisément les deux protagonistes de ce livre, Jon Roberts et Evan Wright.

Evan Wright, qui flirte avec le journalisme gonzo, a été récompensé plusieurs fois pour ses reportages. Pas des trucs sur la fête annuelle des orchidées, les comices ruraux ou l’élection de Miss Iowa. Mais des enquêtes en immersion dans des communautés difficiles, méfiantes, marginales, parfois dangereuses. Il a aussi couvert la guerre d’Irak en suivant des Marines. Il a tiré de cette expérience un livre, Generation Kill, qui a été adapté sous forme de mini-séries par la chaîne de télé HBO.

Jon Roberts, c’est du lourd. Mais du côté obscur de la force. Né en 1948 à New York, dans une famille italo-américaine liée au clan Gambino, Jon Roberts est un gangster. Le caïd de ce qu’on a appelé les Cocaine Cowboys, le référent numéro 1 du sinistre cartel de Medellin à Miami. De 1975 à 1985 (ce qui tient de l’exploit…).

Traqué depuis des années, Roberts fut arrêté en 1991. Il va négocier la réduction de sa peine de prison en devenant indic des agences fédérales. Un « métier à hauts risques… C’est ce qui explique l’un des éléments du sous-titre du livre : les « services secrets ».

On comprend qu’un tel personnage – qui avait réussi à rester vivant, un miracle – ne pouvait que fasciner Evan Wright. En 2008 vont débuter une série d’entretiens avec Roberts. Le résultat, c’est cet American Desperado. Quelque 700 pages incandescentes. « Le Moby Dick des Mémoires de la Mafia », comme l’a écrit David Lipsky (auteur lui-même d’un très grand livre : Absolutely American). Jon Roberts est mort d’un cancer en 2011. Dans son lit contre toute attente. Deux mois après la publication d’American Desperado qu’il aura tout de même vu paraître et susciter un immense intérêt.

Dans le Miami NewTimes, on remarqua : « Evan Wright, en évoquant les étranges passions de Jon Roberts, parvient à rendre sympathique ce vieux salopard ». C’est vrai. Parce que le principal atout de Roberts, ce fut le charme.

« Jon était agréable te de très bonne compagnie », dit une personne qui a croisé sa route. Mais pour ajouter aussitôt : « Derrière cette apparence, il y avait un type capable du pire. Dr Jekyll et Mr. Hyde ».

Ce que Jon ne cachera pas à Wright lors de leur premier entretien téléphonique avant leur rencontre :

- Peut-être que je suis un psychopathe. La majeure partie du temps que j’ai passé sur cette terre, je n’ai eu aucun respect pour la vie humaine, c’a été la clef de ma réussite.

Charmant garçon, on le voit… Mais au final, façon happy end, une histoire très américaine avec Jon qui remercie sa femme, Noemi, et évoque son fils, Julian : « Il est mon âme, et Noemi est la lumière qui me permet de le contempler. Je ne mérite sans doute pas leur amour, si l ‘on pense à tous les gens que j’ai fait souffrir, mais c’est la vie. »

Sans illusion sur lui-même, Jon Roberts se décrit comme « une ordure chevronnée » et assume le fait qu’il quittera la terre « pour aller rejoindre le Diable » et s’associer « avec lui pour l’éternité ».

C’est cette lucidité et cette franchise (« Le mal est tellement plus simple », dit Roberts) qui font qu’on lit ces Mémoires qui renvoient les polars les plus sombres et sanglants au rang d’aimables bluettes pour pensionnaires du Couvent des Oiseaux.

Alain Sanders

- 13 E Note Editions.

 

 

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