Bruce Holbert : Animaux solitaires

Un wesern très, très noir...

 

La jeunesse de Bruce Holbert s’est déroulée dans les somptueux paysages des Okanagan Mountains, dans l’Etat de Washington. Avec une hérédité chargée. Son arrière-grand-père, éclaireur métis de l’armée américaine, est un personnage respecté du comté. Jusqu’à ce jour où il va assassiner son gendre ! Qui n’était autre que le grand-père de notre écrivain…

C’est dire que son roman – son premier roman –, sorte de western des années trente, mais un western noir, très noir, noir sang, s’inspire de cette étonnante « anecdote » familiale.

Le roman s’ouvre ainsi : « Même au temps de Russel Strawl, il y avait ce mythe de l’homme fort qui parle peu. L’inverse était plus proche de la réalité ».

Qui est ce Russel Strawl? Un ancien officier de police du comté de l’Okanagan. A qui on demande de reprendre du service pour arrêter et mettre hors d’état de nuire un tueur en série particulièrement sanglant. Il ne se contente pas de semer son chemin de cadavres d’Indiens, mais il les mutile avec une barbarie qui ne manque pas d’imagination dans l’horreur.

Même Strawl qui, question ignominies, en a vu de toutes les couleurs (ne donnant d’ailleurs pas sa part au chat en la matière…), est époustouflé par le modus operandi du tueur. Il part sur ses traces. A cheval. Seul d’abord. Rejoint bientôt par son fils adoptif, ce qui ne l’enchante qu’à moitié.

Cette longue chevauchée, qui est tout sauf une promenade de santé, nous permet de découvrir, étape par étape (et au gré des étapes de la traque) le passé de Strawl. Un homme dur qui, quand il le fallut, a tué comme qui rigole, sans états d’âme inutiles, sans se poser de questions. On est dans un monde – et dans un décor d’un autre âge – où la loi et l’ordre ne sont encore que des concepts lointains.

Strawl n’est pas un joyeux drille. Mais rien, ni sa vie de famille naguère et aujourd’hui, ni ses enfants, ni les fantômes d’hier qui continuent de la hanter ne l’incitent à l’être… L’extravagant, c’est qu’au cours de cette traque, on va croiser la piste de personnages encore plus déjantés que lui !

Dans la revue Publishers Weekly, on souligne que ce roman est dans l’esprit du « nouveau western » initié par Cormac McCarthy avec Méridien de sang ou Charles Portis avec True Grit (cf. surtout son récent remake cinématographique, beaucoup plus noir que la version de Henry Hatthaway en 1969 avec John Wayne) : « Dès la phrase d’ouverture (…), il est évident que nous sommes aux mains d’un maître de la narration. Appelez ça de la fiction littéraire, un western classique et réaliste ou un roman historique, Holbert demeure un écrivain au talent formidable ».

Il convient, en effet, de saluer la formidable écriture de Holbert. Mais aussi l’excellent travail de son traducteur, Jean-Paul Gratias (et même, si vous le permettez, muchas Gratias !). Nous sommes emportés dans des paysages de création du monde, où chaque chemin est un risque – au sens fort du terme – d’aventures, où les hommes n’ont pas encore assimilé le commencement du début de ce qui pourrait être un semblant de vie civilisée…

L’histoire commence très mal. Elle continue « pire ». Et elle se termine plus pire que pire. Ce qu fait dire à la revue Kirkus : « A la fin, le lecteur lèvera un chapeau trempé de sueur à Holbert pour avoir su élever le western si haut en littérature ».

Yep ! Un Stetson trempé de sueur, mais aussi de boue, de larmes et de sang… Avec cette envie et cette crainte d’aller traîner nos bottes dans ces contrées qui, aujourd’hui encore, ne sont pas des lieux de villégiatures anodins.

Alain Sanders

- Gallmeister.

 

 

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