Jesmyn Ward : Bois Sauvage

Dans la chaleur du Mississippi

 

Un mot d’abord de Jesmyn Ward. Née dans l’Etat du Mississippi, âgée de 35 ans, elle est issue d’une famille nombreuse afro-américaine comme on dit aujourd’hui. Son premier roman, Where the Line Bleeds, va être prochainement édité chez Belfond qui vient de publier Bois sauvage (titre original : Salvage the Bones) qui a permis à cette jeune femme de décrocher le prestigieux National Book Award.

On a dit, preuve d’ailleurs que l’histoire du Sud de Etats-Unis ne s’écrit pas en noir(s) et blanc(s), qu’il y a dans Bois sauvage des « accents faulkneriens ». Ce n’est pas faux.

Esch Baptiste a 14 ans. Elle voit tout. A commencer par le naufrage de son père qui essaie de s’arracher à l’alcool pour tenter de faire de la cabane familiale de « Bois sauvage » quelque chose qui ressemble à une maison. A continuer par son frère, Randall, qui espère obtenir une bourse sportive (c’est un basketteur, bien sûr) pour échapper à la famille et à sa misère. Et puis Skeet, le frère cadet, qui déploie des trésors d’intelligence pour nourrir à tout prix sa chienne pitbull, China. Et encore le petit dernier, Junior, assoiffé de tendresse, denrée rare et chère à « Bois sauvage ».

La mère ? Il n’y en a pas. Elle est morte en couches, laissant à la jeune ado la charge d’une famille et celle de passer de l’état d’enfance à celui d’adulte en sautant la case adolescence. Comme si tout cela ne suffisait pas, Esch s’aperçoit qu’elle est enceinte et on annonce l’arrivée de l’ouragan du siècle Katrina, tueur de pauvres gens.

Bois sauvage a été salué à juste titre par une critique unanime. Par le Washington Post par exemple : « En apparence, l’histoire simple d’une famille noire fracassée par un des ouragans les plus meurtriers de l’histoire des Etats-Unis. En apparence seulement, car ce qui fait la puissance de Bois sauvage, c’est la manière dont Jesmyn Ward allie les passions familiales à cette menace qui grandit dans le Golfe du Mexique. Dans l’histoire de ces petites gens qui vivotent au milieu des poulets et des carcasses de voitures se joue une véritable tragédie, pleine de fureur et d’amour, de courage et de désespoir. »

Citons encore Laura Kasischke, auteur des Revenants : « Dès la première scène, viscérale et lyrique, ce livre m’a happée au point que je craignais de le poser, pour ne pas risquer d’en briser la magie. Ce qui, à bien y réfléchir, serait tout bonnement impensable, tant le talent de son auteur est immense. »

On aime aussi que Jesmyn Ward cite en exergue Gloria Fuentes dans Maintenant : « Je suis petite mais je vois bien des choses / Mon corps est un œil sans limites / Qui, malheureusement, voit tout. » Oui, elle voit tout. Elle subit tout. Mais, là où d’autres s’effondreraient, elle résiste à tout. Parce que la vie, aussi misérable soit-elle, doit être plus forte que la mort.

Une histoire du Sud. Et donc âpre, violente, pleine de cris et de fureurs. Chez ces gens-là, « petits Blancs » ou « Noirs sans le sou », white trash, black trash, oubliés de tous parce qu’ils ne geignent pas, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. La nature n’est pas « mère nature » et quand on croit s’en être sorti, c’est pour replonger dans des ennuis pires encore. De la grande littérature écrite d’une plume trempée dans une encre particulière : le sang..

Alain Sanders

- Belfond


 

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