Mr. Chuck “Crazy Legs” Berry !

 

Prétendre résumer en quelques lignes la vie et l‘œuvre de Chuck Berry relèverait de la gageure. Sa vie est – et elle continue de l’être – un roman et son œuvre, foisonnante et diverse, ne souffre pas d’être réduite à quelques clichés rock’n’rolleux. Mais on peut, par le biais de quelques anecdotes, cerner un peu ce survivant de la grande époque, à savoir les années cinquante, un phénomène musical dont il fut l’un des desservants les plus représentatifs.

De son vrai nom Charles Edward Anderson Berry, Chuck Berry, alias “Crazy Legs” comme il a été surnommé, est né le 18 octobre 1926 à St. Louis, Missouri.

Après une jeunesse chaotique, qui lui vaudra des ennuis avec la justice (il en aura d’ailleurs toute sa vie), il abandonne la coiffure et se lance dans la chanson. Dès 1952, il fonde le Chuck Berry Combo et se produit dans les clubs de St. Louis pour quelques dollars (et plus quand affinités).

En 1955, Muddy Waters le présente aux frères Chess, Phil et Edward, des Chess Records. Ils le signent et, toujours en 1955, il enregistre un 45T avec deux titres qu’il a lui-même composés : Maybellene et Wee Wee Hours.

Deux titres enregistrés avec des pointures locales : Johnny Johnson au piano ; Willie Dixon à la basse ; Jasper Thomas à la batterie ; Jerome Green aux maracas.

Soit un rock, Maybellene, et un blues, Wee Wee Hours, dans le style jump blues. A l’époque, on dira qu’il est dans la lignée du blues de Chicago. Il n’en est rien. Maybellene, c’est du rockabilly. Chanté par un Noir, certes, mais n’empêche. Et ce n’est pas un hasard si on peut lire, sur la pochette de son premier album, After School Session, cette désignation : “Rock-A-Billy Troubadour”.

Un mot, encore, de Maybellene, titre devenu mythique et classé – par les Rolling Stones – numéro 18 des 500 plus grandes chansons de tous les temps. Pardon de casser les illusions de ceux qui en ont encore, mais ce prénom, Maybellene, n’a pas été inspiré à Chuck Berry par une jeune fille plus ou moins en fleurs. C’était tout simplement le nom d’une brave vache qu’il voyait tous les jours dans son champs en allant en classe…

Ce morceau fut – notamment - repris par Elvis Presley, Carl Perkins, Simon et Garfunkel, Marty Robbins, Johnny Rivers, Gene Vincent, les Everly Brothers, Conway Twitty, George Jones (en duo avec Johnny Paycheck), etc.

 

Remarquez qu’on a cité là quelques grands noms de la country music. Rien que plus normal quand on sait que, lors de ses prestations au Cosmopolitan Club de Chicago, Chuck Berry avait à son répertoire – même s’ils étaient relus façon Chuck Berry – la plupart des standards country.

D’ailleurs, le secret de Maybellene, c’est une base rythmique country plaquée à un tempo de dingue, avec des riffs qui ne font pas dans la dentelle.

Johnny B. Goode

Après le succès de Maybellene, Chuck Berry est au sommet. Et il enchaîne les tubes : Thirty Days, No Money Down, Roll Over Beethoven, School Days, Rock’n’Roll Music, Sweet Little Sixteen, Carol et, bien sûr, en 1958, Johnny B. Goode, l’un des meilleurs – sinon le meilleur – morceaux rock jamais créés. On rappellera au passage que la sonde Voyager I, envoyée dans l’espace en 1977, contient une copie de Johnny B. Goode.

L’un des intérêts de cette chanson réside dans le fait qu’elle est largement autobiographique. Elle raconte l’histoire d’un country boy qui, comme le souligne le texte, “jouait de la guitare comme s’il avait toujours su en jouer.”

Là encore, je ne vais pas vous accabler de tous les noms – il y en a des centaines – des chanteurs, tous genres confondus, qui ont interprétés Johnny B. Goode : de Buck Owens au mièvre Roch Voisine en passant par les Beach Boys, les Beatles, Buddy Holly, Elton John (à qui ça va comme un tablier à une vache…), les Rolling Stones, Prince, les Sex Pistols, Jimmi Hendrix, etc.

Rappelons aussi que Johnny B. Goode a été repris dans des films comme American Graffiti, Retour vers le futur, Le Péril jeune.

Et puisque nous parlons cinoche, il faut rappeler aussi que Chuck Berry ne fut pas étranger à cet art. En 1956, on le découvre dans Rock, Rock, Rock où il interprète You Can’t Catch Me. En 1957, il est dans Mr. Rock and Roll. En 1958, dans Jazz On A Summer Day (exploité en français sous le titre Jazz à Newport) où il casse la baraque en chantant Sweet Little Sixteen. En 1969, c’est Go Johnny Go, avec un solo d’enfer et son légendaire duckwalk (“pas du canard”) souvent imité et jamais égalé. La même année, il est à l’affiche de Keep On Rockin’ (en français : Les Rois du Rock) aux côtés de Bo Diddley, Jerry Lee Lewis et Little Richard.

En 1973, il est du casting de Let The Good Times Roll (en français : Les Folles Années du Rock) avec Fats Domino, Little Richard, Chubby Checker, les Coasters, Bill Haley, Danny and the Juniors.

En 1978, dans American Hot Wax, il interprète Reelin’and Rockin’ et Roll Over Beethoven.

En 1961, il avait connu sa traversée du désert après de nouveaux ennuis avec la justice. Deux ans de prison. Quand il ressort, en 1963, l’Amérique l’a oublié. Mais il fait un retour en force – notamment à Las Vegas – en 1970. Retour en force en Europe surtout. En 1972, il place aux sommets des charts My Ding-A-Ling qui est pourtant une de ses plus mauvaises chansons.

Mais comme à Johnny B. Goode, inutile de lui répéter : “Chuck, sois bon, sois bon !”

 

Des histoires derrière ses chansons

Nous avons évoqué deux morceaux historiques, Maybellene et Johnny B. Goode (sans omettre de signaler la version reggae de Peter Tosch). Mais on pourrait écrire une grande partie de l’histoire de la country, du rockabilly et du rock’n’roll en énumérant quelques-uns des titres marquants de Chuck berry. Exemples :
- Come On qui fut le premier single des Rolling Stones en 1963
- School Days dont le refrain, “Hail ! Hail ! Rock’n’Roll” a été choisi pour un documentaire de Keith Richards des Rolling Stones
- Rock and Roll Music est l’un des premiers titres joués sur scène par les Beatles à Hambourg
- Promised Land fut repris par Elvis Presley, Grateful Dead ou encore par Johnny Allan dans une version cajun à l’accordéon
- Around and Around est un des premiers titres enregistrés par les Rolling Stones et repris par les Animals, Grateful Dead, David Bowie
- Sweet Little Sixteen, Carol, et Roll Over Beethoven sont des titres dont les Beatles – et quelques dizaines d’autres – firent leurs choux gras

- Let It Rock a fait le bonheur (mais pas forcément le nôtre) des Rolling Stones, de Bob Seger, de Gene Summers, des Shadows of the Knight, de Grateful Dead
- Thirty Days a été repris, dans une version réussie, par Johnny Winters
- Too Much Monkey Business fut une des succès des Kinks en 1964
- Brown-Eyed Handsome Man a retenu l’attention et le talent de Jerry Lee Lewis, Buddy Holly et Paul McCartney
- Back In The USA : on sait que ce titre a inspiré le Back In The USSR des Beatles et qu’il fut repris par Linda Rondstat et Gene Summers
- Memphis Tennessee : Danyel Gérard, bien sûr, qui fut le tout premier à en faire une adaptation française qui est restée dans les mémoires. Et puis Johnny Winter, Lonnie Mack, les Beatles, Paul Anka, Count Basie (rappelons que Chuck Berry figure avec Fats Domino dans les encyclopédies de jazz), les Animals, Tom Jones, Jerry Lee Lewis, Elvis Presley, les Rolling Stones, John Cale, Conway twitty… Et j’en oublie cent !
- You Never Can Tell : merveilleuse reprise par Emmylou Harris et le Jerry Garcia Band. Sans oublier que c’est une des pièces maîtresses du film de Quentin Tarantino, Pulp Fiction.

Pour rêver un peu, on signalera que Chuck Berry, qui n’a pas sorti d’album depuis 1979, en annonce un – seize titres au moins – pour très bientôt. Pas mort le dinosaure !

Parmi les très bonnes chansons de Chuck, No Particular Place To Go, adapté de façon très sirupeuse (mais bon, c’est sa nature…) par Eddy Mitchell sous le titre A crédit et en stéréo. Pour ma part, je vous conseille, la reprise – et en anglais bien sûr – d’un des meilleurs interprètes rock et rockabilly de la scène française, Yannick Dimont, dans son album Premier Jet. Et, sur le même album, ses relectures de Nadine et de Too Much Monkey Business.

Alain Sanders

 

 

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