Benjamin Whitmer :

Cry Father : un père, passe et manque…

 

Benjamin Whitmer, qui vit à Denver, Colorado, où se déroule une grande partie de l’action de son livre (qui n’est pas ad usum delphini comme on disait jadis), indique que, pendant les repérages pour l’écriture de Cry Father, il n’a écouté que du Townes Van Zandt. Bon choix.

Dans la seconde (ou troisième) chapitre) de l’ouvrage, on lit par ailleurs : “Les trois quarts du trajet ne sont que la voie express. C’est des semi-remorques et des touristes, des pauses café et cigarettes, la succession de stations de country que l’on capte sur les plaines et puis qu’on ne capte plus. Le soleil qui se lève et qui traverse le ciel béant du Missouri et puis retombe dans le Kansas et qu’on ne revoit plus nulle part ailleurs dans le Colorado”.

On s’y croirait. Au moins pour cette partie du voyage car pour le reste… On se souvient peut-être du premier roman de Whitmer, Pike, dont nous avions souligné l’extrême noirceur, l’extrême violence, l’extrême horreur. Tout cela traduit par une force d’écriture torrentielle. Eh bien, Cry Father est encore “plus” pire – ou “ plus ” meilleur si l’on préfère – que Pike.

Le father en question, c’est Patterson Wells. Depuis qu’il a perdu son fils, il traîne sa désespérance dans les coins les plus pourris de l’Amérique des oubliés. Et puis, de temps à autre, comme un chien blessé après une bagarre de rue, il se pose dans sa cabane isolée de tout et de tous, à quelques encablures de Denver.

Un jour, il fait la connaissance de Junior, le fils très déjanté et dealer de son état, de son meilleur ami. Entre ce Junior sans foi ni loi et ce Patterson sans feu ni lieu, va s’établir une vraie amitié et, autant que faire se peut, une relation père-fils. Pour “le pire et pour le pire” tant ils ont une sorte de (mauvais) génie pour se fourrer dans des situations impossibles. Avec quelques cadavres à la clef.

Pour ceux qui connaissent El Paso, Texas, je recommande particulièrement les pages consacrées à la descente qu’y font Patterson et Junior. Là encore, on s’y croirait. Avec un resto pourrave, le Green Gables, et sa formule œufs-côtes de porc à 2,99 dollars. Et un policier des frontières, la Border Patrol, qui dans le resto plein de Mexicains dégaine son insigne en criant : Remember the Alamo ! (“ Souvenez-vous d’Alamo ! ”). Mais c’est pour rire : “Je les taquine, c’est tout. Pour rien au mode je ne les coffrerais”.

Le critique américain Frank Bill a dit de ce livre : “Benjamin Whitmer écrit sur la rouille qui attaque la vie. Il montre le miteux, l’obscurité, ce que les autres ont peur d’exposer”. C’est vrai. Mais plus que la rouille, c’est la dérouille qu’il met en scène.

Avec quand même, au milieu de cette effrayant déchaînement de violence, le visage d’une mère qui essaie de survivre et de protéger sa petite fille. Cry Father, mais Smile Mother…
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Alain Sanders

– Editions Gallmeister.

 

 

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