David Vann : Désolations
L’Alaska, l’amour, la mort…

 

Il y avait d’abord eu le phénomène de Sukkwan Island (Gallmeister), le tout premier roman de David Vann. Un roman extraordinaire, un brin autobiographique et tiré de l’ombre vers la lumière par un article de Tom Bissell dans le New York Times. On connaît la suite (que nous avons d’ailleurs racontée ici même). Un succès international, et notamment en France, ce qui est plutôt réconfortant (1).

Inutile de dire qu’on l’attendait au tournant de son second roman, le David… Un feu d’artifice inopiné Sukkwan Island ou la bonne nouvelle de la naissance d’un grand auteur de la scène littéraire américaine ? Eh bien, une confirmation et magnifié de surcroît : Désolations (titre américain : Caribou Island) est l’un des romans les plus forts et les plus bouleversants qu’il nous a été donné de lire ces dernières années.

Comme dans Sukkwan Island, nous sommes en Alaska. Sur les rives d’un lac glaciaire au cœur de la péninsule de Kenai. Il y a Gary et Irene, un couple qui se délite. Leurs enfants, Rhoda qui se prépare à épouser Jim, un quadra pas très franc du collier ; Mark, pêcheur de son état et en ménage avec Karen. Plus deux personnages annexes : Monique, belle comme à vingt ans et peste comme à cet âge, et son petit ami du moment, Carl, qu’elle cocufie quand l’occasion s’en présente.

Mais les personnages centraux sont Gary et Irene dont on pressent que la fêlure est irrémédiable. Gary, qui fait porter à la terre entière – et d’abord à sa femme – ses échecs répétés, s’est mis dans la tête de construire une cabane sur un îlot déserté, Caribou Island. Irene, mariée depuis trente ans à ce Gary velléitaire, est au bord de la rupture. D’abord parce qu’elle n’a aucunement envie de vivre un hiver dans ce truc en planches bricolé par Gary qui ne sait pas planter trois clous. Ensuite parce q’elle est sujette à de terribles migraines qui la coupent peu à peu du monde.

On ne peut pas dire que David Vann (qui remercie néanmoins sa femme, Nancy, d’avoir gardé sa bonne humeur quand « il n’y avait pas de livre, pas de travail,, pas d’argent ») a une vision très optimiste du couple. S’il y a eu un jour de l’amour entre Gary et Irene, il n’en reste plus rien. On sent que Rhoda sera malheureuse avec Jim. Et Mark et Karen sont ensemble faute de mieux. Le fait qu’ils vivent dans des paysages exceptionnels, mais où l’on ne peut vivre que si l’on a une vie intérieure solide, n’arrange rien. Ce sont des solitudes juxtaposées. Qui se croisent. Mais ne se rencontrent pas vraiment.

« Poser ce livre pourrait vous épargner, mais il vous sera impossible d’en arrêter la lecture », prévient le critique du Los Angeles Time. C’est vrai : on ne sort pas intact de cette histoire qui va crescendo. On sent qu’il n’y a pas de happy end au programme…

Une écriture soutenue. Un sens des êtres et de leurs failles. Un e approche unique de cette nature pas vraiment amicale. Une grande œuvre. David Vann persiste et signe : il est incontestablement en train de s’installer parmi les grands et même les géants de la littérature américaine.

Alain Sanders

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(1) Lauréat du prix Médicis étranger, prix des lecteurs de L’Express, plus de sept fois sur la liste des meilleures ventes de Livres Hebdo.

- Gallmeister, 14, rue du Regard, 75006 Paris.

 

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