Anne Boquel-Etienne Kern : Les derniers des fidèles
Des grognards au Texas

 

Il y a, dans La Rabouilleuse de Balzac, l’évocation d’un vieux soldat de l’Empire qui revient en France après avoir vécu au Texas dans une colonie appelée « Champ d’Asile ». Une colonie fondée par des vétérans de l’armée napoléonienne, en 1817. Victor Hugo en a parlé. Et Alexandre Dumas a laissé un portrait du chef ce cette étonnante aventure, le général Charles Lallemand (dit aussi "Général Charles")

.En 1985, était paru un roman, intitulé Champ d’Asile (Seuil), de Jean Soublin, qui racontait, de façon romancée puisque c’était un roman, cette épopée oubliée. Ce livre a été republié en 2005 chez Phébus sous le titre La République des vaincus. Histoire fascinante, en effet, de cette poignée d’hommes (quelque 150 tout au plus) qui, fidèles entre les fidèles, voulurent créer une société utopique (plus bonapartiste que napoléonienne d’ailleurs) dans un coin du Texas (une zone contestée entre l’Espagne et les Etats-Unis). Dans des conditions extrêmes : des éléments et une nature hostiles, des Indiens cannibales, des bêtes sauvages, des pirates redoutables (dont le fameux Jean Laffitte, protecteur – à tous les sens du terme – des malheureux colons).

Anne Boquel et Etienne Kern exhument avec passion et gourmandise les archives (dans lesquelles il y a à prendre et à laisser) de cette aventure hors du commun. Et qui s’axe autour d’un homme sans doute un brin fêlé, Charles Lallemand, qui poursuivait un rêve fou : jeter, à partir de sa colonie texane, les bases d’un nouvel Empire, conquérir le Mexique, faire s’évader Napoléon de sa prison à Sainte-Hélène et le mettre à la tête de cet Empire sud-américain…

François Antoine « Charles » Lallemand (1774-1839) s’était exilé aux Etats-Unis en 1815 après le retour des Bourbons. Il sera condamné à mort par contumace pour ses actions subversives et même putschistes avant le retour de Napoléon et les Cent Jours.

Ayant armé quelques bâtiments légers sur la côte Est des Etats-Unis, il débarque avec les « derniers fidèles » (une majorité d’hommes, il n’y a que quatre femmes, dont Antonia, la fille du général Rigau qui est de l’aventure), à Galveston. Ils sont accueillis par le pirate Jean Lafitte qui les aide et les exploite tout à la fois. La petite troupe, déjà bien éprouvée par son séjour à Galveston (qui n’a rien de la station balnéaire qu’elle est devenue…), remonte la rivière Trinity, chez les Indiens Orcoquisa qui sont tout sauf amicaux… Les vétérans se mettent à l’ouvrage, construisent une enceinte et quatre forts qui feront l’admiration des Espagnols quand ils viendront les détruire. Très vite, les conditions climatiques, le manque de vivres, les bisbilles de préséance (il y a plus d’officiers que de soldats dans cette « armée »), des querelles de personnes, vont pourrir la vie de ce phalanstère qui se serait voulu exemplaire.

Lassés des provocations de ces Français qui, de surcroît, semble magouiller avec les indépendantistes mexicains, les Espagnols envoient un détachement de San Antonio. Curieusement, Lallemand, qui pourrait faire face à cette petite escouade, commande le repli sur Galveston et se met sous la protection – toute relative – de Jean Lafitte. Les Espagnols mettront deux jours à démanteler fortins et fortifications. Si bien qu’il ne reste pas la moindre trace du Champ d’Asile aujourd’hui…

Lallemand obtient la nationalité américaine. Mais il ne tient pas en place. En 1823, il est à Lisbonne où il conspire, puis à Cadix où il soutient la cause des constitutionnels contre les Bourbons, puis retour aux Etats-Unis où il règle ses affaires (pas toujours très claires).

Il revient en France après la révolution de 1830 Il y sera couvert d’honneurs : lieutenant général, pair de France, commandant d’une division de cavalerie, inspecteur général de son arme, commandant de la 17e division (Corse), Grand Officier de la Légion d’honneur, commandant de la 10e division, membre du comité d’infanterie et de cavalerie, président d’examen de l’Ecole militaire, etc. Lallemand avait déjà son nom sur l’Arc de Triomphe. Il mourra cependant sans le sou et sa femme, qui n’héritera que de dettes, renoncera à la succession…

Voilà pour Lallemand. Mais quid des autres qu’il avait embarqués dans cette galère texane ? Certains gagnèrent l’Alabama où une colonie française de vétérans de l’Empire, la Colonie de la vigne et de l’olivier, bien régentée par le général Charles Lefebvre-Desnouettes, allait bientôt succomber sous les manœuvres des Anglo-Américains (voir, à ce sujet, le film Le Bagarreur du Kentucky avec John Wayne et Oliver Hardy).

D’autres prolongent le rêve américain : Urbain Renou s’installe comme cultivateur de patates douces en Louisiane ; Antoine Gilbal se fait confiseur en Caroline du Nord ; Louis Lauret s’établit comme trappeur en Géorgie ; le docteur Morot crée une plantation en Louisiane (et la baptise « Napoléonville »), etc.

D’autres rentrent en Europe (1). D’autres se font soldats de fortune là où ils trouvent à s’employer. D’autres finiront dans la misère et quelques-uns dans la démence. Du Champ d’Asile à l’asile tout court, somme tout…

Alain Sanders

- Flammarion.

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(1) Félix Marie Formento s’éteindra dans son Italie natale à l’âge de 98 ans. Barthélemy Emile Chaix meurt, lui aussi très âgé, à Montpellier, en 1892. Sans avoir rien laissé d’intéressant, l’un ou l’autre, sur l’aventure d’une vie…

 

 

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