Le chant du cygne de James Crumley

James Crumley : Folie douce

 

Né à Three Rivers, Texas, en 1939, James Crumley a déposé son Stetson et ses bottes à Missoula, Montana, en 2008. Missoula son « port » d'attache, 50 000 habitants et où, dit-on, tout le monde écrit. Au point que l'on parle de l’École du Montana (sise à Missoula), un club littéraire dont Crumley aura été l'un des maîtres.

Folie douce (Gallmeister) est son dernier tour de piste et, à quelques égards, son chant du cygne. Avec son détective fétiche, le très cabossé Chauncey Wayne Sughrue (CW pour les intimes) qui, avec son compadre Milo Milodragovitch, tout aussi déglingué que lui, nous aura trimballés des années durant. Si on veut savoir de quoi sont capables ces deux gus ingérables, anciens du Vietnam, divorcés à répétition, portés sur la boutanche (et quelques substances illicites) et les femmes fatales, se reporter à La Danse de l'ours (Gallmeister). Une dinguerie qui ferait passer Pulp Fiction pour un manuel du Couvent des Oiseaux...

Dans Folie douce CW, qui s'est précédemment pris une balle dans le bide au Mexique (voir Les Serpents de la frontière, chez Gallmeister également), revient à son camp de base à Meriwether, Montana. Dans l'idée de se refaire la cerise et une santé. Mauvaise pioche...

L'un de ses amis, le psychanalyste William MacKinderick, vétéran du Vietnam lui aussi, lui demande – en faisant jouer la fibre sentimentale – de retrouver le malhonnête qui lui a volé le dossier confidentiel d'un de ses patients.

CW n'est pas chaud pour repartir au tuf. Il est fatigué. Il vit une relation qui tourne à l'eau de boudin avec sa femme. Il sent que cette enquête pourrait vite déraper. Mais l'offre généreuse – 20 000 dollars – que lui fait le docteur maboul (et des maboules) le convainc d'accepter. Bienvenue en enfer...

Au cours de l'enquête, les « incidents » sanglants – un accident bizarroïde, une femme qui s'auto-décapite, une autre qui se mutile, etc. – vont vite avoir raison de l'équilibre déjà bien naturellement compromis de CW.

Pour ce dernier roman, James Crumley, qui a longtemps été une sorte de survivant, un trompe-la-mort, un miraculé, n'a pas fait les choses à moitié. Peu de temps après son arrivée et son ancrage à Missoula, en 1966, il dira être une sorte de drogué de l'écriture : « En période d'écriture, je rêve de ce que j'écris toutes les nuits. Si je travaille trop longtemps, je plane littéralement parce que ça marche, alors je dépasse mes quatre, cinq heures de travail quotidiennes. Cela peut aller jusqu'à sept ou huit heures. Mais après, je suis tellement excité que je ne peux plus dormir pendant deux ou trois jours. La sensation de ce trip dans l’écriture est géniale. Mais après, c'est terrible, très dur. »

Pour ceux qui ne connaîtraient Crumley qu'à travers ses polars très foutraques et déjantés, aux intrigues brouillonnes, mais portées par les fulgurances d'un écrivain « habité », conseillons la lecture de son tout premier roman, de facture quasi classique, Un pour marquer la cadence (titre original : One to Count Cadence, 1967). C’est sans doute l'un des meilleurs romans jamais écrits sur la guerre du Vietnam.

Et puis plongeons dans cette Folie douce qui, entre deux extravagances, a quand même des moments tendres : comme l'affection – et pour cela on lui pardonne tout – de CW pour deux chattes persanes, Chloe et Charmaine, dont il s'occupe avec beaucoup de tendresse. Complicité entre félins...

Alain Sanders

 

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