Les Pays lointains
la trilogie sudiste de Julien Green

Né d’une famille américaine très sudiste des Etats-Unis, Julien Green a porté sa trilogie, Les Pays lointains (1) des années durant. Une trilogie-monument que nous rangerons — pour d’autres raisons — à côté d’Autant en emporte le vent qu’il convient de relire une fois par an.

Tout commence quand une jeune fille de seize ans, Elisabeth, quitte Londres et arrive, en compagnie de sa mère ruinée, à Dimwood, Georgie. Là, un lointain parent, William Hargrove les accueille et leur donne une chance de repartir dans la vie dans des conditions autrement agréables que dans la pluvieuse Angleterre.

Le Sud, the deep South, Dixie Land, est un pays où il fait bon vivre. Les cavaliers sont courtois, les dames sont jolies et rosissent un peu quand on leur fait compliment de leur teint de lys, on boit du thé glacé, on flirte sous les magnolias. Ce bonheur tranquille, doublé d’une réussite qui commence à inquiéter les industriels nordistes, ne durera pas. La rapacité yankee va l’emporter sur l’esprit sudiste et une terrible guerre — à laquelle on affectera de donner de nobles mobiles — massacrera les beaux cavaliers de Caroline du Sud, de Virginie, de Georgie, l’Alabama ou du Tennessee.

Elisabeth est belle et blonde comme on peut l’être à seize ans. Elle possède, en plus, un délicieux accent anglais qui fait fureur dans la bonne " society ". Pourquoi faut-il qu’un soir de bal son regard croise celui de Jonathan, gandin nordiste ? De fêtes en parties, Elisabeth est prise dans un tourbillon où se croisent et s’entrecroisent Charlie Jones

— dit " Uncle Charlie " —, Betty, la vieille nounou noire, Miss Llewelyn, galloise, et, à ses heures, entremetteuse, et Ned pour qui elle craindra un instant d’oublier Jonathan.

Pendant qu’Elizabeth soigne ses petites peines de cœur, les menaces s’accumulent. Dans l’ombre fraîche tamisé sur les persiennes closes, les Sudistes se préparent à la confrontation. Ils savent, ils savent tous qu’il faudra bientôt s’expliquer avec les gens de Washington :
" — C’est maintenant, maintenant qu’il faut foncer.
— Mais Fred, fit Oncle Douglas, tu oublies que l’Union a une armée.
— L’armée américaine ! Quatre-vingt mille hommes et la plupart des officiers sont pour le Sud. Le Nord n’a aucune envie de se battre. Nous, nous l’avons dans le sang. La levée en masse se ferait d’elle-même pour courir aux frontières.

— Qu’est-ce qui te fait croire que les hommes du Nord ne sont pas aussi courageux ? demanda Oncle John.
— Oh ! Je ne dis pas non, mais c’est une race de commerçants, il faudra les arracher à leurs comptoirs alors que chacun de nous est prêt à partir comme pour un duel.
— A bondir ! s’écria Billy. "

Le drame, c’est que les gros commerçants yankees, riches de leurs usines d’armement, ne conçoivent pas la guerre comme un duel, mais comme une guerre totale, une guerre d’extermination, qui laisse le Sud exsangue, à la merci des carpet baggers et des politiciens nordistes.

Est-elle consciente de toutes ces choses Elizabeth qui n’aime que le cuir, les meubles d’acajou, le porto, les promenades en calèche dans les rues de Savannah ou dans la lumière adoucie des sycomores ? Sans doute pas. D’abord parce qu’elle est anglaise :

" — Tu n’es pas encore tout à fait du Sud.
— Je n’ai jamais dit que je voulais être du Sud. Je suis ce que je suis et je le reste. "

Ensuite parce qu’elle souffre du mal d’amour et que c’est une maladie que quelques gouttes de laudanum — même prises comme seules les dames sudistes savent le faire — ne suffisent pas à guérir...

N’empêche : la passion qui brûle Lizzie est sudiste. En la menant à son terme ultime, Julien Green a raconté une histoire d’amour, bien sûr.

Mais c’est aussi celle de l’amour qu’il porte au Sud, à ces pays lointains, dont il ne s’est jamais senti si proche.

Alain Sanders

(1) Tome 1 : Les Pays lointains ; tome 2 : Les Etoiles du Sud ; tome 3 : Dixie.

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