Amor Towles : Les Règles du jeu

Une dactylo chez les WASP

 

C’est le premier roman d’Amor Towles (titre original : Rules of civility) dont on nous dit qu’il descend d’une des grandes familles WASP (White Anglo-Saxon Protestant) du Mayflower. Cela se sent. Et les critiques ne s’y sont pas trompés qui évoquent « tout le charme, l’élégance, l’esprit d’un Martini Dry de ce roman » (David Nicholls), « un roman époustouflant, une voix qui tient de Francis Scott Fitzgerald et de Truman Capote » (Publishers Weekly), Fitzgerald – encore – et George Cukor (accroche de quatre de l’éditeur).

L’héroïne de ce grand roman, que l’on ne referme pas sans nostalgie (fitzgeraldienne, effectivement), n’a pas d’ancêtres descendus du Mayflower, elle. Katey Kontent, fille d’immigrés russes de Brooklyn, est une petite dactylo qui tire le diable par la queue. Mais qui ne désespère pas de forcer un jour les portes du très huppé Manhattan.

Le 31 décembre de l’année 1937, Eve Ross, qui vient du Middle West et qui partage une chambre dans une modeste pension de famille avec Katey, entraîne cette dernière au Hotspot, un night-club du Greenwich Village. Elles vont y croiser la route du très séduisant et très millionnaire Tinker Grey, banquier de son état. Leur vie en sera changée à jamais.

On pense un moment, et même on l’espère, que Tinker et Katey vont tomber amoureux l’un de l’autre. Le destin en décidera autrement.

Pendant un temps, le trio improbable va faire la tournée des grands-ducs (ça, ce sont les adresses de Tinker) et des petits bouges irlandais et russes (ça, ce sont les adresses de Katey et d’Eve).

Les deux copines, de par leur bonne humeur naturelle et leur simplicité, charment l’aristo plus habitué jusque là à des ladies plus sophistiquées.

Et puis le drame. Un accident de voiture dont Tinker et Katey sortent indemnes, mais qui blesse grièvement – et d’abord au visage – Eve. Tinker, qui se sent responsable, prend Eve entièrement en charge. Il l’installe chez lui, la fait soigner, la couvre de cadeau. De fil en aiguille, ils deviendront un couple. Eve a trouvé son prince charmant. Et Katey, qui se sent désormais de trop, finit par les perdre de vue, n’ayant plus de leurs nouvelles qu’au gré des lettres qu’ils lui envoient de leurs voyages outre-Atlantique.

Plus tard, bien plus tard, le hasard remettra Tinker sur le chemin de Katey. Eve a disparu. Et Katey a réalisé son rêve : ayant bien assimilé les règles du jeu de la vie new-yorkaise, elle fait partie des people. Elle s’est mariée et si elle regarde Central Park, c’est du haut du balcon de son cossu appartement. Elle est définitivement passée de l’autre côté de la barrière.

Intelligent, magnifiquement construit, truffé de références littéraires et artistiques, mais sans pédanterie et afféteries superflues, ce roman est effectivement fitzgeraldien. Mais il est plus que ça tant il est un témoignage quasi documentaire du New York des années trente. « La vie n’est pas tant un voyage qu’une partie de bridge lune de miel », dit Katey. Qui a aimé et qui aimera toujours Tinker : « Le lendemain matin, à mon réveil, (le nom) de Tinker était sur mes lèvres. Comme souvent le matin à présent. »

Alain Sanders

- Albin Michel

 

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