John Gierach :
Même les truites ont du vague à l’âme

 

On a dit de Saint-Exupéry qu’il était un pilote-écrivain (et réciproquement). John Gierrach, lui, appartient à la catégorie de ces pêcheurs-écrivains américains qui ont ce talent, même si vous ne partagez pas leurs goûts halieutiques, de vous passionner pour et par leur art.

Dans ce nouveau recueil, John Gierach, installé depuis plus de trente ans dans le Colorado, nous embarque, avec un humour décapant, dans des paysages – au milieu coule une rivière… – où la pêche à la mouche n’est pas un simple sport, mais un mode de vie, un état d’esprit et, pour tout dire, une attitude.

La passion de John Gierach a commencé alors qu’il n’était encore qu’un gamin. Avec le premier poisson qu’il sortit de l’eau, un bluegill, pris dans l’étang de la ferme de son oncle dans l’Indiana.

« Je me souviens que quand j’étais petit, écrit-il, les hommes me semblaient heureux et compétents sur le terrain, mais qu’il leur arrivait également de dégager une sorte de vague aura de mélancolie. » Preuve que les truites ne sont pas les seules à avoir du vague à l’âme… Il ajoute : « C’était une chose que je ne comprenais pas alors, que je comprends maintenant. »

Il y a quelque chose, dans l’inconscient de l’Amérique rurale, qui ne conçoit pas un plan d’eau, un étang, un lac, une rivière, sans poissons. Pour le plaisir de la pêche, bien sûr, mais pour se procurer aussi – gratuitement – quelques bons repas. Une aventure ? Aussi. Mais « la pêche est surtout fondamentalement (…) l’élément ordinaire, quotidien, d’une bonne vie. »

Même si vous n’avez jamais pêché dans la Big Hole River dans le Montana, que vous ignorez les possibilités infinies de la Bird’s Stonefly (une mouche ancienne, une grande classique de l’Ouest), que vous avez du mal à faire la différence entre une truite et un brookie, la magie de l’écriture de Gierach risque de provoquer en vous un syndrome inattendu : « Demain, c’est dit, je me mets à la pêche à la mouche. » Et tout ce qui va avec : le bivouac, le petit coup de bourbon quand le soir descend sur la rivière, le bruissement des hôtes des lieux, grenouilles, hérons, ratons laveurs, etc. Au point d’en oublier les moustiques vibrillonnants…

Et puis l’idée d’aller du Colorado au Montana et du Wyoming au Michigan en passant par l’Arkansas, ce n’est pas rien. Dans Chien brun, Jim Harrison écrit (et il évoque là les pêcheurs du Michigan) : « Il y a quelque chose dans l’air de chez nous qui nous fait beaucoup mentir. Par exemple, si vous prenez trois brookies, vous direz que vous en avez pris quinze, et si vous en avez pris quinze, vous direz que vous en avez pris trois. » A tout… pécheur, miséricorde !

Alain Sanders

- Editions Gallmeister, 14, rue du Regard, 75006 Paris.

 

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