Un meurtre à Bandera

XII. Don’t mess with Texas !

 

Malgré le talent des policiers qui les interrogent, Paway et le barman ne lâchent pas un mot. A peine le barman consent-il à dire qu’il croyait que j’étais un fauteur de troubles et qu’il avait donné un coup de main à « Monsieur Paway », une bien aimable personne…

Quant à expliquer pourquoi on m’avait tabassé et ligoté avant de m’inviter à faire une petite promenade en voiture, aucune réponse. Pas plus de réponses à la question de savoir qui était ce cadavre découvert au Blue Domino.

J’avais bien signalé à la police que je soupçonnais ce macchabée d’être le tireur qui, quelques heures plus tôt, avait essayé de me tuer.

– Nous avons prévenu Las Vegas, nous devrions en savoir plus sur ce mort et sur Paway. Le barman est un petit loustic que nous avons à l’œil depuis longtemps, me disent les policiers.

Rien de plus sur Badlands, présent au Blue Domino. Mais la police a son adresse et deux enquêteurs sont partis l’interroger à l’adresse que je leur ai indiquée. Il allait avoir à s’expliquer sur sa présence à Bandera le soir où l’on avait assassiné Laurie, la sœur de Caroline. Le shérif de Bandera, Mark Benson, avait transmis à la police de San Antonio tout le dossier sur cette affaire, trop content de se débarrasser d’une histoire venue contrarier la tranquille routine de notre petite ville.

On m’interroge beaucoup sur Caroline. Et on l’interroge beaucoup elle aussi. Pourquoi a-t-elle jugé judicieux de s’adresser à un « privé » plutôt qu’à la police. Que sait-elle des fréquentations de Laurie. Bref, rien de plus que ce que j’avais essayé de découvrir – en vain – jusqu’ici.

Ils nous laissent repartir. Elle a tout loisir de m’expliquer alors comment elle a réagi au quart de tour quand j’ai disparu du Blue Domino. Je lui redis toute ma reconnaissance. Et, arrivée chez elle, j’ai le bonheur de la lui prouver plus concrètement.

En fin de soirée, Fred Fitgerald nous rejoint chez Caroline. Il a des nouvelles.

– Badlands est certainement impliqué dans un réseau de trafiquants de drogue de Las Vegas.

– Pourquoi se trouve-t-il à San Antonio ?

– Pour remettre un peu d’ordre dans le réseau local. Il y avait du coulage. Il ne fait aucun doute que c’est bien lui qui t’a envoyé un gunman. Ce qui m’étonne, c’est que Miss Caroline ne soit pas capable de nous dire en quoi sa sœur était embringuée avec ces malfrats.

– Jamais Laurie n’aurait mis les pieds avec des trafiquants de drogue, protesta Caroline.

– N’empêche que, quelle que soit la façon dont on prend le problème, votre frangine n’a pas l’air blanc-bleu…

– Vous avez tort, Laurie était clean !

– Il faut peut-être que tu ouvres les yeux, Caroline. C’est toi-même qui m’a dit que ta sœur se sentait menacée. Pas par une équipe de bonnes sœurs de nos couvents texans tout de même !

Fred sort de son sac, une besace de toile qui date des années Vietnam, un journal, le San Antonio Herald. On y parle de nos « affaires ». Je le prends et je lis l’article à haute voix.

« Fusillade à San Antonio. Des coups de feu ont été tirés contre un homme non loin du site d’Alamo. Selon nos informations, la personne visée était Ray Johnson, un “privé” de Bandera. Ray Johnson enquêterait sur un meurtre perpétré il y a quelques jours dans la capitale mondiale des cowboys. Une jeune femme, Laurie Lawson a été abattue par des inconnus dans un motel de la ville, le River Inn. Pour l’heure, la police se perd en conjonctures sur les raisons de ce crime. Laurie Lawson, une jeune femme apparemment sans histoire, est la sœur d’une de nos très honorables concitoyennes de San Antonio, Caroline Lawson, a soit été le témoin de choses qu’elle n’aurait pas dû connaître, soit elle-même impliquée dans une de ces affaires louches qui viennent trop souvent entacher, hélas, la cité de Crockett, Davis et Bowie. »

– Tout un article pour nous expliquer qu’il n’y a rien à expliquer, c’est sûr que ça vaut le coup d’abattre des arbres pour faire du papier, dit Caroline.

Elle est furieuse. Et je peux la comprendre. Il n’empêche que mon nom et le sien sont désormais jetés en pâture au public.

– Ce qui m’étonne, c’est que le nom de Frank Badlands ait échappé aux journalistes, dis-je.

– Tu as raison, dit Fred. La prochaine fois qu’on risque de parler de lui, c’est parce qu’il aura réussi à te flinguer.

– Depuis que j’ai refusé son fric, je sais que je suis devenu une cible. Peut-être que la police va remonter jusqu’à lui en faisant « parler » le cadavre du Blue Domino, dit Caroline.

– Bien, je vous laisse les tourtereaux. We keep in touch et je vous tiens au courant de ce que je pourrais découvrir.

Fred parti, je prends Caroline dans mes bras. Elle a besoin d’un câlin. La probabilité de l’implication de sa sœur dans un coup fourré étant de plus en plus évidente, elle a le moral à zéro. Je m’occupe à lui redonner la pèche et elle m’en paraît fort reconnaissante si j’en juge par les « encore » dont elle ponctue ma prestation.

Alors que je savoure un repos de guerrier bien mérité, mon téléphone portable sonne. C’est l’officier de police qui est intervenu devant le Blue Domino.

– On a du nouveau sur le mort du night-club. Vous pouvez passer ?

– J’arrive. Vous l’avez identifié ?

– C’est un peu ça. Mais pointez-vous, je vous en dirai un peu plus.

Loin de m’en dire un peu plus, les officiers de police me confirment des choses que je sais déjà. Notamment que c’est une de mes balles qui a blessé à mort le tueur que m’a envoyé Badlands.

– Alors, vous alpaguez Badlands ?

– Difficile. Rien ne prouve qu’il soit le donneur d’ordre.

– Mais le mort est un de ses hommes !

– Sans doute. On va travailler dans ce sens. En ce qui vous concerne, ne vous inquiétez pas. Vous étiez en état de légitime défense.

– Trop aimable…

You’re welcome… Vous restez à San Antonio ou vous rentrez chez les cowboys ?

– Je vais rester quelques jours encore à San Antonio. J’ai une cliente…

– Caroline Lawson ?

– Caroline Lawson, et je n’aime pas que des truands de Las Vegas viennent manger la laine sur le dos de nos truands texans…

– Patriote…

– Yes, sir ! Don’t mess with Texas ! (1)

Je quitte le poste de police et remonte par les rues Salinas, Santa Rossa, Nueva, pour me garer devant chez Caroline. Elle m’attend.

– Alors ?

– Alors je t’emmène dîner.

A pied, nous remontons vers le Marché mexicain pour nous installer, sur Produce Row, au restaurant Mi Tierra. Pour prendre un margarita. Et nous repartons vers la South Alamo Street pour dîner au Little Rhein Steak House installé dans une belle maison en pierre de la Villita et réputé pour ses viandes. Dont un filet mignon qui tient de l’œuvre d’art.

– Je repars à Bandera demain.

– Si tôt ? C’est ici que s’est déplacée l’action, non ?

– Bien sûr. Mais Alamo, mon chat préféré bien qu’unique, et Mrs Prather doivent se demander si je ne suis pas mort.

– Tu veux que je t’accompagne ?

– Pas tout de suite. Tu es la seule à pouvoir fouiller dans le passé de ta sœur. On t’ouvrira des portes qui me resteraient fermées.

– Si tu crois que c’est mieux… Mais tu vas me manquer.

– Eh ! Je ne pars pas au bout du monde. D’un coup de voiture, tu peux être dans mes bras.

– C’est là que je me sens en sécurité.

Je lui prends la main. Et, tout en mangeant, nous continuons ainsi à roucouler. Ce qui nous vaut une bouteille de Paul Mason blanc de la part du patron alerté par un de ses serveurs de la présence dans son établissement de deux gentils amoureux. J’aime la Little Rhein Steak House. J’aime le Texas. Et je crois bien que j’aime Caroline.

Alain Sanders
(à suivre)

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(1) « Ne faites pas ch… le Texas ».


 

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