Un meurtre à Bandera

XIV. People gonna talk

 

Le portier chamarré de l'immeuble de Caroline se met presque au grade-à-vous en me voyant. Nous sommes devenus de vieilles connaissances.

– Miss Lawson est chez elle ?

– Oui, monsieur. Elle m'a annoncé votre visite.

Elle m'attend en effet. Belle comme un cœur. L’heure n'est pas à l’attendrissement, mais un petit French Kiss en passant n'a jamais fait de mal à personne. ..

– Alors, cette grande nouvelle que tu ne pouvais me dire au téléphone ?

– Attends-toi à être un peu surprise...

On s'assied. Je lui mets sous les yeux la photo et le rapport de police envoyés par Fred Fitzgerald.

– Mais c'est Lorie !

– Il me semble. Regarde le reste.

Elle lit. Elle relit. Elle revient sur la photo.

– Qu'est-ce que ça veut dire ?

– Ce qui est dit dans ce rapport de police.

Bullshit ! Jamais Lorie n'aurait trempé dans ce genre d'histoires !

– Tu en es certaine ? Tu m'as dit qu'elle avait eu de grosses rentrées d'argent.

– C'est vrai. Mais elle était dans les affaires, de grosses affaires m'avait-elle laissé entendre.

– Des affaires ? De quel genre ?

– J'sais pas moi... Du business, quoi...

– Avec Badlands ? Ce rapport n'est pas sorti du cerveau fiévreux d'un gars de la Border Patrol...

– Soit. Elle a peut-être été piégée.

– Par qui ? Tu m'as bien dit qu'elle a été mariée et divorcée. Des enfants ?

– Une petite fille.

– Qui vit où ?

– Avec son père, à Dallas. Tu crois qu'on aurait pu menacer la gamine pour contraindre Lorie à faire des trucs illégaux ?

– Je ne crois rien. Depuis le début, et même avant que Lorie soit tuée, notre route croise celle de Badlands. Je vais retourner chez lui.

– C'est risqué. Et ça ne t'a pas réussi la dernière fois...

– Si tu as une autre idée, je suis preneur.

– Non, pas mieux.

– Alors, en route !

Direction Helotes où Badlands a ses quartiers. Nous arrivons à hauteur de sa villa tape à l’œil. Il y a du monde. Une dizaine de voitures de police. Le portail devant le quel j'ai fait le pied de grue est grand ouvert. Coup de pot, le policier de faction est un p'tit gars de Bandera.

– Salut, Ray, en chasse ?

– Yep ! Vous avez serré les occupants ?

– Nope ! Plus personne quand on s'est pointé. Mais je ne peux pas t'en dire plus.

Nous nous engageons dans l'allée.

– Encore un cousin à toi ? Demande Caroline.

– Plus ou moins. On est tous un peu cousins à Bandera.

A l’intérieur de la villa, on s'active. Une perquisition dans les règles. Des policiers de San Antonio, mais aussi des Fédéraux. Un gradé s'avance vers nous.

– Qu'est-ce que vous faites-là ?

– On a vu que c'était ouvert, on est entré...

– Ok, smart guy, vous retrouverez facilement la sortie.

– Soyez sympa. Je suis détective privé et j'enquête sur le zig qui habite-là.

– Nous aussi. Mais il s'est volatilisé avec toute sa bande. Une idée de sa destination ?

– Peut-être Las Vegas, c'est de là qu'il vient.

– On a vérifié. Pas de traces de lui au Nevada.

– Il n'a rien laissé ?

– Presque rien. Ils ont tout brûlé avant de partir. On a pu récupérer des morceaux de documents.

– Et ?

– Et nib.... Il a des complices à San Antone qui ont dû le prévenir qu'on allait lui rendre visite... Il est à la tête d'un réseau de passeurs.

– Des passeurs de wet backs ? (1)

– Et de quoi d'autre ? A grande échelle, ce trafic, passage de drogue en sus, ça peut rapporter gros.

Il ne veut pas m'en dire plus. Aucun flic au monde n'aime qu'un « privé » vienne mettre son nez dans une enquête de police.

Je tente cependant le coup.

– Je peux voir les papiers brûlés ?

– Si vous n'avez pas peur de vous salir les pognes...

Pas grand chose à tirer de cet amas de cendres, en effet. Mais on peut deviner quelques noms : Ruidosa, Terlingua, Presidio, Lajitas, Boquillas del Carmen,, Candeleria... Des petites villes et des bourgs jouxtant le Rio Grande.

– Des points de passage ?

– Pas forcément. Mais à coup sûr des endroits où il a des complices.

Un nom retient mon attention : Terlingua. Une ville fantôme aujourd’hui, une ancienne ville minière très prisée par les touristes. L'une des portes d'entrée du Big Bend National Park, paradis des ours, des coyotes et des road runners. A côté de ce nom, des chiffres. L'officier de police, qui lit par-dessus mon épaule, me dit :

– Terlingua, ça vous parle ?

– Yep. Il n'y a aucune raison pour que des rascals de Las Vegas s'intéressent particulièrement à ce bled perdu.

– Perdu, mais très fréquenté. J'y suis allé faire du rafting avec ma femme et mes enfants l'an dernier. Sur le Rio Grande.

– A creuser. Merci de votre amabilité, officer.

Nous repartons. Caroline a oublié d'être bête :

– Tu vas allé fouiner à Terlingua, non ?

– Possible... Tu veux vraiment savoir ce que fricotait Lorie et pourquoi on l'a tuée ? Alors Viva Terlingua !

– Tu m’emmènes ?

– Pourquoi pas ? On jouera le gentil petit couple en goguette. On part demain matin. Tôt.

Je la dépose chez elle et redescend sur Bandera. On est maintenant dans le dur et pas question de débouler à Terlingua sans biscuits. A hauteur de Pipe Creek, mon portable sonne. C'est Caroline.

– La police est chez moi. Ils veulent m'interroger sur Lorie. Qu'est-ce que je fais ?

– Tu réponds à leurs questions. Si tu n'as rien de plus à leur dire que ce que tu m'as dit, ils ne vont pas aller très loin.

A Bandera, Alamo me fait la fête. Mrs. Prather s'affaire dans la cuisine.

– Je ne fais que passer. Vous pouvez demander à Pete de venir ?

– Sûr qu'il va pas se faire prier...

Elle a raison. Dix minutes plus tard, il arrive, la gueule enfarinée d'un Marine qui va se faire un terro.

– Besoin de moi ?

– De toi et de ton arsenal. Je vais à Terlingua. Armé comme un porte-avions si possible.

– No sweat. Tu sais quoi ?

– Non, mais je crois deviner...

– Je t'accompagne.

Pas question de refuser. Pete, c'est un char d'assaut. Pour l'avoir vu à la manœuvre plus d'une fois, je sais qu'il assure.

Pour la riflette, jamais en retard. Du genre à tirer d'abord et à poser ensuite des questions.

– C'est d'accord. On décolle demain matin à 5 heures. On passera prendre Caroline à San Antonio.

– Elle va nous gêner.

– T'occupes. C'est moi qui la protégerait.

Il repart en sifflotant Green Berets. Mrs Prather ne s'y trompe pas.

– Les affaires reprennent. Je vous prépare une petite valise ?

– Oui, je risque d'être absent quelques jours. Prenez bien soin d'Alamo.

– Je m'en occupe comme de mon fils, vous le savez bien. Prenez soin de vous en revanche.

Alain Sanders
(à suivre)

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(1) Surnom donné aux clandestins mexicains qui traversent le Rio Grande pas troujours à pieds secs...

 

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