Un meurtre à Bandera

VI. Strangers in the night

 

C’est Caroline. Elle est toujours aussi jolie. Elle fait quelques pas dans la pièce, saluée par Pete (« Howdy, m’dame »), et aperçoit les deux corps allongé sur le sol.

- Vous donnez une night party ? Je ne dérange pas j’espère…

- Vous êtes la bienvenue.

- Vous pouvez peut-être m’expliquer ce qui se passe…

- Dès que je l’aurais moi-même compris…. Ou étiez-vous passée ? Je suis allé au River Inn comme prévu. Je vous ai cherchée toute une parie de la nuit.

- Vraiment ? Dehors, il y a une charmante bimbo et j’ai cru comprendre, d’après ce qu’elle m’a dit, que vous avez très vite dirigé vos « recherches » dans une autre direction…

Avec une grâce infinie, elle vient s’asseoir près de Pete et se sert un verre. Un des deux malfrats commencent à bouger.

- Vous connaissez ces deux types, Caroline ?

- Non. Inconnus au bataillon. Mais je vois que vous avez eu le temps de faire connaissance.

- Pas vraiment. On va les laisser se réveiller doucement et les interroger ensuite. Vous êtes sûre qu’ils ne vous ont pas suivie et que l’intérêt qu’ils me portent n’est pas lié à votre affaire ?

- Aucune idée…

- Alors on se pose et on voit venir…

- Oui, c’est ça, m’dame, on se pose et on réfléchit, dit Pete.

- Monsieur ?

- Il s’appelle Pete Holly. C’est mon voisin et mon ami.

Caroline fait une drôle de petite révérence. Mais elle n’est manifestement pas là pour faire des mondanités à mon pote…

- Vous avez sans doute beaucoup d’amis, Ray, mais plus encore d’ennemis, compte tenu de vos activités… Si ces deux hommes m’avaient suivie, c’est moi qu’ils auraient attaquée, pas vous…

- A moins qu’ils vous aient vu converser au Cowboy Bar et qu’ils en aient déduit que vous m’aviez confié des documents.

- Je n’ai aucun document à vous confier !

- Vous le savez. Pas eux. Que vouliez-vous me dire lors de notre rencard – manqué – au River Inn ?

Elle ne sourit plus. Se relevant d’un bond, elle crie :

- Ils l’ont tuée ! Oui, ils l’ont tuée !

- Ils ont tué qui ?

- Ma sœur, Ray, ils ont tué ma sœur Laurie !

Ces derniers mots s’achèvent dans un sanglot. Je la fais se rasseoir et lui passe un bras autour de ses épaules.

- Comment le savez-vous ?

- Je les ai vus !

- Vous les avez vus ?

- Oui. Vous vous souvenez que je vous ai demandé de me rejoindre au River Inn ?

- Evidemment ! J’y suis allé. Bungalow numéro 2. Il n’y avait personne.

- Je vous y attendais pourtant. Avec Laurie qui m’a accompagnée à Bandera.

- Et alors ?

- Alors, ne vous voyant pas arriver, Laurie a paniqué. Elle m’a dit que nous devions rentrer à San Antonio où vous pourriez nous rejoindre : « On lui remettra ces papiers qui lui expliqueront tout ». Elle a sorti un dossier et me l’a tendu. Je m’apprêtais à le feuilleter quand nous avons entendu du bruit du côté du bungalow. « Ce sont eux, a dit Laurie, ils m’ont retrouvée, il faut se cacher ! » Il était trop tard. La porte n’était pas fermée. Deux hommes ont surgi. L’un d’eux a dit : « Nous avons un message de la part de Rick ».

- Et ?

Caroline s’est interrompue. Elle a du mal à continuer. J’insiste :

- Que s’est-il passé ?

- Ils ont tiré. Sur Laurie. Elle est tombée tout près de moi. J’étais pétrifiée, terrorisée, anéantie. Un des deux hommes, celui qui semblait être le chef, a dit à l’autre : « Récupère le dossier, vite ! » Ils m’ont bousculée pour prendre les documents « C’est bon, a dit le chef, on peut se casser ». L’autre a dit : « Et la frangine ? » J’attendais le pire. Le chef a dit : « Elle n’est pas dangereuse, laisse tomber, on s’en va… » Et ils sont sortis.

- Sans rien dire de plus ?

- Non. Je suis restée prostrée de longues minutes. Je suis ensuite allée voir ma sœur. Elle ne bougeait plus… Elle était morte. Je l’ai serrée contre moi en pleurant.

-Vous n’avez pas appelé des secours ?

- Et qui ? Les coups de feu n’ont fait bouger personne. On dirait qu’une pétarade n’étonne personne à Bandera…

Elle n’a pas tort… Il y a toujours deux ou trois lascars qui, se prenant pour Pecos Bill, tirent sur des bouteilles de bière qu’ils viennent d’écluser.

- Qu’avez-vous fait ensuite ?

- J’ai eu peur que, changeant d’avis à mon égard, ils reviennent. Alors je suis sortie et je me suis cachée sur les bords de la Medina.

- Vous ne connaissez vraiment pas les deux types allongés là ?

- J’en suis certaine. Ce ne sont pas ceux qui étaient au River Inn.

- Bon. Vous ne pensez qu’il serait temps de m’en dire un peu plus ?

Ce qui avait commencé comme une affaire banale, à savoir la protection d’une jeune femme, la sœur de Caroline, prenait une très sale tournure. Une intrusion chez moi. Un meurtre. Il fallait qu’elle parle.

- Quand votre sœur a-t-elle commencé à s’inquiéter ?

- Il y a un mois. Elle est venue chez moi pour me dire qu’elle était menacée. En m’expliquant que s’il lui arrivait « quelque chose », je devais prendre le dossier, celui qu’elle avait au River Inn, pour le remettre à la justice. Rien de plus. Je lui ai alors conseillé de contacter un détective.

- Pourquoi moi ?

- On m’a dit du bien de vous. Elle a accepté et elle m’a accompagnée à Bandera. L’idée, c’était que vous la rencontriez discrètement au River Inn.

- Ce dossier, vous n’avez aucune idée de ce qu’il contenait ?

- Aucune.

- Votre sœur avait-elle de mauvaises fréquentations ?

- Pas vraiment. Mais elle était souvent embringuée dans des histoires pas possibles. Depuis un an, elle s’était cependant rangée. Même si elle semblait avoir beaucoup, trop, d’argent.

- D’où venait-il ?

- Elle m’avait dit avoir réussi une « grosse affaire »…

Pete a écouté sans rien dire. Ce qui ne lui ressemblait guère. La preuve :

- Si vous voulez mon avis, young lady, votre sœur a franchi la ligne. Elle s’est cru maligne et elle a été rattrapée par plus malin qu’elle. Un pont trop loin et bang ! fin de la piste…

Elle fait « non » avec la tête. Elle ne veut pas croire que sa sœur a pu être mêlée à une embrouille. La victime, c’est elle, sa sœur. Elle se retourne vers moi :

- Je pense que vous n’avez plus envie de vous occuper de cette affaire… Je vous ai fait courir trop de risques. On va laisser la police s’en occuper…

- Maintenant qu’on a « violé » mon chez moi ? Jamais !

Elle pose sur moi un regard tendre. Je fonds. Je suis à deux doigts de la serrer contre moi. Je ne le fais pas, par une sorte de pudeur virile, apanage des hommes comme on le sait. C’est elle qui vient vers moi et se love entre mes bras. Alors, oubliant Pete et les deux gus toujours allongés sur le sol, je l’embrasse passionnément. Comme si mon cœur, resté sec trop longtemps, déversait d’un seul coup d’un seul des tonnes d’amour contenu.

- Vous n’avez plus aucune raison d’avoir peur. Désormais vous êtes sous ma protection.

- Eh, Ray, dit Pete, ce ne serait pas une bonne vieille chanson country que tu serais en train de nous tricoter ?

Pete se rappelle à mon bon souvenir. Je repousse doucement Caroline. Pete a raison. Ce n’est pas le moment de jouer les midinettes.

- Pete, ce ne serait pas l’heure de rentrer chez toi ?

- Reçu cinq sur cinq… Je vous laisse, mes tourtereaux… Si vous faites un petit, gardez-le pour ma collection… Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.

Il s’éclipse discréto. Je reviens m’asseoir près de Caroline. Moment délicieux où son parfum vient se mêler à celui, non moins délectable du Jack Daniel’s dont je viens de me servir un grand verre. Et si le bonheur c’était ça tout bêtement ? Un bon godet de whiskey et une belle fille qui vous donne à croire que vous êtes devenu un chevalier de la Table Ronde…

Alamo se met à miauler. C’est vrai que je l’ai un peu négligé et que j’ai oublié de le nourrir depuis que je suis rentré. Faut dire que j’ai été occupé…

- Je fais manger le chat et, ensuite, on se penchera sur le cas de mes deux visiteurs.

Ils se rappellent à mon bon souvenir. Au moment où je vais vers la cuisine, ils se lèvent d’un bond et, malgré les menottes,

ils me tombent dessus. J’entends Caroline crier en même temps que je pare les coups.

A ce moment là, la porte s’ouvre. C’est Lynn qui pénètre dans la pièce en hurlant. M’étant débarrassé des deux gus, gênés dans leurs mouvements par les menottes, j’entends la voix de Lynn.

- Alors, on me laisse poireauter dans la voiture pour faire le joli cœur ? Bravo !

- Mais…

- Mais quoi ?

- Mais rien, je ne vous ai pas oubliée. Mais vous voyez bien que je dois m’occuper de mes deux non invités…

- Des excuses, ça ? Bullshit ! Pour passer d’une femme à l’autre, vous êtes prêt à inventer n’importe quoi !

Alain Sanders
(à suivre)

 

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