Catherine Webb : Pressentiments
Les secrets de l’Angleterre edwardienne

 

C’est avec son premier roman, L’Héritage, que j’ai découvert Katherine Webb. Un roman unanimement salué et à juste titre. Une écriture maîtrisée au service d’une très sombre histoire. On l’attendait donc au tournant avec un second roman. Et alors ? C’est une réussite. Encore plus maîtrisée, plus sombre, plus inquiétante.

Comme dans L’Héritage, Katherine Webb entremêle deux époques. Nous sommes à Ypres (Belgique), en 2011, où l’on retrouve le corps d’un soldat tombé pendant la Grande Guerre. Avec, dans ses poches, deux lettres signées « H. Canning ». Une journaliste, Leah, est chargé de retrouver l’identité de ce soldat inconnu.

Et puis nous sommes aussi dans une paroisse du Devonshire, pendant l’été 1911, où vivent le pasteur Albert Canning et sa jeune épouse, Hester. Nous autres, lecteurs, avons donc cet avantage sur Leah de savoir que cette « H. Canning » est forcément Hester Canning.

Hester n’est pas heureuse. Et d’abord parce que, après un an de mariage, son mari n’a toujours pas consommé leur union et ne semble pas pressé de le faire. Elle s’en ouvre et s’en plaint à sa sœur, Amelia, qui doit composer, elle, avec un mari volage.

Le couple accueille une nouvelle servante, âgée de 22 ans, Cat Morley. Elle sort de prison. Son crime ? Avoir été une suffragette militante. Une « qualité » qui permet à Katherine Webb de brosser un tableau effrayant de l’Angleterre edwardienne, impitoyable aux femmes et, plus encore, aux femmes issues des couches populaires.

Cat, alias « Black Cat », est une battante qui n’accepte pas son sort et qui se bat contre l’injustice qu’elle a subie. La prison l’a fracassée. Elle ne l’a pas brisée.

Un autre personnage, sulfureux, pervers, pernicieux, va venir s’incruster dans la maisonnée. Robin Durrant est théosophe. Un bien grand mot pour désigner une charlatanerie très en vogue à l’époque et à laquelle de grands noms s’adonnèrent, dont Conan Doyle, le père de Sherlock Homes. Pour faire simple, disons que la théosophie professait que nous étions entourés de « créatures » (fées, entités, ondines) que certains privilégiés – de supposés cœurs purs - pouvaient voir. Et même photographier : les premières années du XXe siècle produisirent des albums de telles photos, toutes trafiquées bien sûr.

Le pasteur tombe entièrement sous la coupe de ce Tartufe british qui s’installe au presbytère où il règne en maître. Au désespoir de Hester qui voit son mari s’éloigner d’elle de plus et plus, subjugué qu’il est par le jeune et beau – la beauté du diable – charlatan. Les manœuvres de Robin Durrant ne trompent pas Cat Morley qui ne croit, elle, ni à Dieu ni à diable.

C’est un été caniculaire. Les esprits, les âmes, les sens sont surchauffés. Avec un épilogue prévisible : un drame. C’est ce que Leah, avec l’aide du petit-fils des Canning, va découvrir au terme d’une longue enquête.

Pressentiments, roman haletant, relève de plusieurs genres littéraires : c’est un polar, un thriller, un formidable document social qui nous en dit plus sur les secrets peu ragoûtants d’une certaine Angleterre que de pesants volumes sociologiques. Et il y a même, petite cherry sur le gâteau, deux histoires d’amour qui se déroulent à un siècle de distance.

Alain Sanders

- Belfond

 
 

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