Bonnie Jo Campbell, Il était une rivière
Ce n’est pas un long fleuve tranquille

 

Une petite ville ouvrière du Michigan, Murrayville. La ville de la famille Murray, autant dire, qui possède une usine métallurgique qui a largement pollué ce coin pourtant réputé sauvage.

Margaret Louise, alias Margo, 16 ans, est née des amours de Bernard Crane et de sa femme, Luanne, qui a mis les bouts depuis longtemps. Bernard est un bâtard. Le fils que le vieux Murray a eu au cours d’un commerce de lit passager avec la mère de Bernard. Ce qui fait de Margo une Murray, reconnue comme telle par toute la tribu : le grand-père, l’oncle Cal, la tante Joanna, toute une ribambelle de cousins.

Quand son père est tué – par un de ses cousins – Margo se retrouve seule au monde. Elle mène sa vie sur le bateau que lui a laissé son grand-père, le River Rose. Et elle se débrouille avec sa carabine et quelques provisions, améliorant son frichti du produit de sa chasse : Margo est un excellent tireur. Elle n’a d’ailleurs qu’un seul livre, une biographie de son héroïne, Annie Oakley, l’une des vedettes du Wild West Show de Buffalo Bill.

Son errance va lui faire croiser la route d’hommes cruels, mais qui vont vite comprendre qu’ils n’ont pas affaire à une gamine sans défense. Certains vont même payer cette erreur d’appréciation de leur vie… Le paradis de l’enfance de Margo est devenu un enfer. Mais c’est sa rivière, son univers, son havre quand bien même elle doit y lutter pour survivre.

Margo poursuit une idée fixe : retrouver sa mère et, du même coup, se reconstruire et retrouver une identité, son appartenance au clan Murray ne l’intéressant pas.

Au cas où vous auriez du Michigan une image policée, oubliez-la. Nous sommes-là dans un environnement hostile où la civilisation ne fait que de la figuration. Mais, quand on sait se servir d’un fusil et qu’on n’hésite pas à le faire – et Dieu sait si Margo est douée de ce côté-là – on peut passer entre les gouttes. Et gratter un peu de sous en revendant de la viande de cerf ou des fourrures de rats musqués.

Nous suivions donc avec passion – et même de l’affection – Margo tout au long de la Kalamazoo, dans les marécages, sur les rives où vivent, dans des cabanes rudimenrtaires, des personnages hauts en couleurs. Les espaces moussus où poussent les lichens, les fougères têtes de violon, les champignons, les vesses-de-loup, les noix de pécan, les cerises de terre et les poulets-des-bois. Et puis les écureuils volants, les rouge-gorge, les jaseurs, les fauvettes, les vautours, les gloutons, les loups, les ours, les cervidés, les carcajous aux dents pointues. Une flore et une faune qui n’ont pas de secrets pour Margo.

On est là dans la grande littérature américaine. Pas celle des villes tentaculaires, bien sûr, mais celle de ces lieux préservés où Mère Nature, Mother Nature, n’est pas vraiment hospitalière… Il faut être d’une trempe particulière pour y vivre. Dure, sauvage, obstinée, Margo est de cette trempe. Elle n’a qu’une faille : c’est encore, malgré les épreuves qu’elle affronte, une petite fille au cœur brisé et en quête de tendresse. La Kalamazoo n’est pas, hélas, un long fleuve tranquille…

Alain Sanders

- JC Lattès

 

 

Tous droits réservés - Country Music Attitude 2013