Kate Chopin :
Le Sorcier de Gettysburg

 

Si vous n’avez jamais lu Kate Chopin (1850-1904) – ce qui serait dommage –, commencez par ce recueil de nouvelles, Le Sorcier de Gettysburg, remarquable évocation de la vie quotidienne dans le Sud des Etats-Unis, post et antebellum, et des conséquences de la guerre dite de sécession.

Kate Chopin, née O’Flaherty à St Louis, Missouri, est la fille d’un père d’origine irlandaise et d’une mère issue d’une vieille famille française. Elle a cinq ans quand son père meurt et treize quand son frère, soldat de l’armée confédérée décède dans un camp de concentration nordiste. En 1868, après de solides études, elle est diplômée de la Catholic Academy of the Sacred Heart.

Deux ans plus tard, elle épouse Oscar Chopin. Le couple, installé à la Nouvelle Orléans, aura six enfants. Homme d’affaires avisé, Oscar Chopin fait pourtant faillite en 1879. La famille part s’installer à Cloutierville, en Louisiane (un Etat très présent dans les écrits de Kate Chopin). Oscar meurt en 1882. Kate et ses enfants, au bord de la pauvreté, vont alors vivre à St Louis, chez la mère de la jeune veuve. La mort de cette dernière sera l’épreuve de trop pour Kate qui tombe dans une dépression dont elle s’appliquera à sortir par l’écriture. Elle traduira notamment, et elle sera la première à le faire aux Etats-Unis, l’œuvre de Maupassant qu’elle admire.

A partir de 1889, ses nouvelles et nombre de ses articles sont publiés dans les revues et les journaux. En 1894, paraît le recueil Bayou Folk et, en 1897, A Night in Acadie. En 1899, elle publie The Awakening (qui a été publié en France en 2006, chez Liane Levi, sous le titre L’Eveil). L’« éveil » social, spirituel, charnel, d’une femme jusque-là « endormie ». Au grand désarroi de Kate, qui ne s’y attendait pas, le livre fera scandale. Elle ne s’en remettra pas. En 1904, elle meurt d’une hémorragie cérébrale.

Si l’on veut bien saisir l’état d’esprit de Kate Chopin et, au-delà, celui des femmes sudistes, se reporter à la nouvelle intitulée « La jeune fille de Saint Philippe ». Et à toutes les autres pour comprendre la spécificité de ce petit peuple de Louisiane qui parle, qui chante, qui pleure en français. Et qui ont des noms du « vieux pays » : Stéphanie Galopin, Baptiste Choupic, Aglaé Boisduré, Mathurin Pelotet, Pélagie Valmêt, Mamouche…

Mais on voit passer aussi tous les gens du bayou – Bayou Folk –, des Noirs, une Indienne qui ne parle pas français et qui se le voit reprocher, des Anglo-Saxons, des Cajuns, des Créoles. Un petit monde qui vit de petites choses. Des êtres apparemment ordinaires mais confrontés parfois à des destins hors du commun.

L’éditeur rappelle justement : « A l’époque dont il est ici question, les Créoles vivaient en cercle fermé et accordaient une grande importance à la famille au sens large (oncles, tantes, cousins, cousines, parrains et marraines). »

On vit, avec les récits de Kate Chopin, la fin d’un monde. Accélérée encore par la défaite du Sud, les Yankees persécutant plus particulièrement ces « Français », catholiques de surcroît, qui avaient soutenu massivement la Confédération. On le comprend : le « sorcier de Gettysburg », revenu du pays des morts, n’est déjà plus qu’une ombre dans une société qui n’est plus la sienne, ni celle de Kate Chopin et du peuple créole.

Alain Sanders

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