A la recherche de la reine Marie-Antoinette sur une boucle de la Susquehanna River, Pennsylvanie

French Azilum : "Asile des Français". Sur une boucle de la rivière Susquehanna, à une quinzaine de km au sud-est de Towanda, dans le Comté de Bradfort (Pennsylvanie, USA), le voyageur — même un peu pressé — ne peut faire l’économie de cette émouvante visite.

Là, un groupe de Français, qui avaient fui la Terreur, s’installèrent en 1793. Dans le but de créer un refuge pour Marie-Antoinette qui, pensait-on, pourrait s’enfuir de sa prison du Temple.

En 1903, Louise Welles Murray, qui était l’arrière petite-fille de l’un de ces Français de la fidélité, Bartholomé Laporte, publia un livre intitulé : The Story of Some French Refugees and their Azilum, 1793-1800. (" Histoire de quelques réfugiés français et de leur asile, 1793-1800 ").



 
Le fonds de ce livre était constitué des souvenirs de la mère de Louise W. Murray, Elizabeth Laporte, mais aussi du résultat d’une très minutieuse enquête de huit années, menée dans toute la région.
En juillet 1950, la National Geographic Society publia le reportage d’un voyage en canoë sur la Susquehanna dans le but de découvrir — ou de redécouvrir — quelques-uns des lieux historiques qui jalonnent cette rivière qui, après de longs méandres, se jette dans l’Atlantique.

Parmi les lieux visités : l’"Asile des Français", emplacement jadis connu, du temps des Indiens, sous le nom de Missicum, c’est-à-dire " les Prairies ".
Mais d’où venaient ces Français exilés et qui étaient-ils ceux-là qui choisirent de s’établir le long de la Susquehanna et d’y préparer un refuge pour la reine Marie-Antoinette ?
A l’origine, deux hommes : Antoine Omer Talon et Louis de Noailles. Qui se trouvaient à Philadelphie. Avec quelques dizaines d’autres Français ayant fui la Terreur.
Noailles n’est pas un inconnu. Beau-frère de Lafayette, il avait participé, avec ce dernier, à la guerre des Insurgents. Et il était rentré en France, la tête farcie d’idées maçonniques. Elu à l’Assemblée nationale révolutionnaire, Noailles va cependant vite comprendre que sa tête farcie d’idées généreuses risquait à tout moment de se transformer en tête décapitée. Prudemment, il choisit alors de passer en Angleterre et, de là, en Amérique.
D’extraction un peu moins noble que Noailles — mais de convictions contre-révolutionnaires nettement plus ancrées — Antoine Talon s’était fait élire à l’Assemblée nationale pour y défendre Louis XVI et les principes monarchiques. Menacé d’être arrêté, il réussira à fausser compagnie aux argousins. Clandestin à Marseille, il va y faire la connaissance d’un jeune Français, Bartholomé Laporte.
Bartholomé Laporte, marchand de vin aisé installé à Cadix, en Espagne, avait été contraint de quitter cette ville après que les Espagnols eurent décidé de chasser ces Français révolutionnaires de leur territoire.

Voilà donc Laporte, qui n’a plus un sou, et Talon, qui est clandestin, à quai. A Marseille. La providence fera qu’ils y rencontreront un marchand anglais et que ce dernier acceptera — Talon caché dans un foudre de vin — de les faire passer en Angleterre. D’Angleterre à Philadelphie, il n’y a qu’un pas. Nous le franchissons. Et nous retrouvons Noailles.
Pour accueillir les proscrits — qui n’ont, la plupart du temps, pu sauver que leur peau — Talon et Noailles décident d’acheter une grande bâtisse. Elle est vite pleine à craquer. Décision est prise, alors, d’acheter des terres où la colonie française pourrait s’installer et démarrer une nouvelle vie.

Deux hommes furent chargés de s’occuper de l’achat de " terres sauvages " : Adam Hoops et Charles Boulogne.
Hoops était un ancien officier qui avait participé en 1779 à l’expédition du général Sullivan sur la Susquehanna. Boulogne était un avocat français qui, depuis des années, s’occupait de ses compatriotes dans le malheur.
Bientôt, l’endroit idéal fut trouvé : dans une boucle de la Susquehanna, 24.000 acres de bonnes terres furent rachetées aux Etats du Connecticut et de Pennsylvanie. Et l’on commença à bâtir une ville baptisée " Azilum " : l’Asile.
Dans l’été 1793, des ouvriers venus de Wilkes-Barre (au sud-est de Towanda) commencèrent de construire des maisons de bois. Les travaux — défrichage, achat des matériaux, creusement des puits — sont supervisés par Talon (Noailles ne viendra qu’une seule fois à French Azilum, en novembre 1793), Aristide Dupetit-Thouars et un ancien officier de Louis XVI, le capitaine de Montullé.





 









Pour plus de détails, on peut s’adresser à la Bradford County Historical : 21, Main Street, Towanda, Pennsylvania 18848-USA.

A l’été 1794, une cinquantaine de maisons étaient prêtes. Des bâtisses de bonne qualité, à deux étages, harmonieusement décorées et agrémentées, pour certaines, de jardins d’été qui apparurent aux rudes pionniers yankees de la région comme le comble de l’extravagance.
Parmi ces maisons de bois, une d’entre elles se détache nettement. Construite pour Talon, on l’appelle " La Grande Maison ". Mais aussi : " La Maison de la Reine ". Pour les exilés, aucun doute : un complot royaliste doit réussir à arracher Marie-Antoinette et ses enfants à ses bourreaux et c’est là, dans sa Maison de French Azilum, que la Reine trouvera le plus sûr refuge.

Comme les exilés français n’étaient pas certains que les Américains verraient d’un bon œil l’installation de la famille royale chez eux, ils construisirent un second refuge, caché dans la forêt, à dix kilomètres de French Azilum.
La construction de cette cache avait été confiée à Charles Homet. Ancien de la Maison du Roi, Homet s’était échappé de France dans des conditions très difficiles après avoir croisé le fer avec ses poursuivants et essuyé une mitraille nourrie.
Sur le bateau qui l’emmenait vers la liberté, Charles Homet avait fait la connaissance de Thérèse Schillinger, elle-même attachée jadis à la Maison royale. Mariés à bord, les Homet avaient commencé de vivre deux années en pleine forêt. C’est la raison pour laquelle on leur confia le soin de préparer, dans ces sauvageries boisées, qu’ils connaissaient par cœur, un second recueil. Après l’annonce de l’exécution de Marie-Antoinette, les Homet s’installèrent à French Azilum.

Parmi les visiteurs célèbres de French Azilum, Talleyrand qui trouva sans doute l’endroit trop rustique pour un ancien évêque... Mais aussi, en 1795, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, qui s’était accommodé, lui, de la Révolution. Au cours de son séjour à French Azilum (il en a laissé un très intéressant compte-rendu), il put rencontrer ceux-là qui n’avaient pas transigé, eux.
Le marquis de Blacons, par exemple, reconverti en partenariat avec Colin de Sevigny, ancien archidiacre, dans la mercerie. Ou " Bec-de-lièvre ", prêtre et, pour survivre, boutiquier. Ou encore Beaulieu, ci-devant capitaine d’infanterie, devenu aubergiste...
Il y avait encore Buzard, planteur et physicien, arrivé de Saint-Domingue avec sa femme, ses enfants et ses esclaves. Et le fils de feu Monsieur d’Autremont, l’un devenu notaire, l’autre horloger.

En 1796, les exilés reçurent la visite du futur Louis-Philippe et de ses deux frères. Les princes séjournèrent deux semaines à French Azilum. On s’occupa à les distraire par des pièces de théâtre et des soirées dans " La Grande Maison ". Pour l’occasion, on ressortit culottes et souliers à boucles, robes de soie et broderies, ce qui, on le constate dans les témoignages de l’époque, fit grosse impression sur les trappeurs du voisinage...
Pendant dix ans, French Azilum s’efforça de survivre à l’environnement difficile. Et puis arrivèrent de France des nouvelles que les exilées pouvaient revenir sans risque et que Napoléon, ma foi... Alors, un par un, ils commencèrent de quitter la petite ville. Seuls s’accrochèrent les Keating, les d’Autremont, les Brevost, les Lefèvre, les Laporte, les Homet. Bientôt, certains s’installeront à Towanda, Athens, Wyalusing, Wilkes-Barres et, en 1803, il ne reste plus à French Azilum que Bartholomé Laporte, Charles Homet et Antoine Lefèvre.

Laporte et Homet rachetèrent les terres de ceux qui partaient. Lefèvre traversa la rivière et installa une auberge. Bartholomé Laporte épousa une jeune Anglaise et leur fils, John — qui deviendra John Laporte — est né dans " La Grande Maison ". En 1836, près du site de " La Grande Maison ", qui avait été détruite, John construira sa résidence. Elle existe toujours.
Le fils de Charles Homet, Charles Jr, eut huit fils. Fermiers et meuniers, ils s’installèrent sur l’autre rive de la Susquehanna au lieu-dit aujourd’hui " Homet’s Ferry ".

Le nord de la Pennsylvanie a gardé de nombreuses traces toponymiques de la colonie française. Outre French Azilum et Homet’s Ferry, on trouve dans la région Frenchtown, Laporte, Asylum Township, Coudersport, Keating, Roulette, Smethport, Dushore...
Le 14 juin 1916, une pierre de Rob Wood Mountain sur laquelle on fixa une plaque fut installée sur la place du marché de French Azilum. La cérémonie d’inauguration, présidée à la Bradford Country Historical Society, se déroula en présence de John W. Mix, descendant d’Antoine Lefèvre et de Charles d’Autremont Jr. La plaque fut dévoilée par Jane et Angelique Spalding, toutes deux descendantes de Charles Lefèvre. On pouvait y lire :

"Ce monument a été érigé pour commémorer et perpétuer la mémoire et les hauts faits des réfugiés royalistes français qui avaient fui leur pays pour échapper aux horreurs de la Révolution en France et à Saint-Domingue. Ils s’installèrent à cet endroit en 1793 et bâtirent la ville d’Azilum sous les auspices du vicomte de Noailles et du marquis Antoine Omer Talon. En 1796, Louis Philippe, duc d’Orléans, qui devint par la suite roi de France, vint ici en visite. Le Prince de Talleyrand, le duc de Montpensier, le duc de la Rochefoucauld de Liancourt et de très nombreux et distingués Français furent des visiteurs ou des résidents de passage à Azilum. Erigé en 1916 par John W. Mix and Charles d’Autremont Jr, descendants des colons français, le terrain a été offert par les héritiers LaPorte"

Le 24 juin 1931, la Pennsylvania Historical Commission et la Bradford County Historical Society inauguraient, de l’autre côté de la rivière et en présence de William Homet, descendant de Charles Homet, et d’Emily Kerrick, descendante de Bartholomé Laporte, une nouvelle plaque commémorative :
" Asylum. Une colonie de Français royalistes qui fuyaient la Révolution en 1793 fut établie dans la vallée qui se trouve en face de ce monument. Cette colonie fut installée sous la direction du vicomte de Noailles et du marquis Antoine Omer Talon. Dans l’espoir que la reine Marie-Antoinette pourrait y trouver un abri sûr. "

On sait, hélas, ce qu’il advint des projets mis sur pied pour délivrer la reine martyre.

Alain Sanders

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