Du « Bonnie Blue Flag » à

« Maryland, My Maryland ! »

 

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Armand E. Blackmar (1826-1888), l’homme qui donna aux rebelles sudistes quelques-uns de leurs plus beaux chants. Quelques jours après avoir pris le contrôle de New Orleans, occupée par les Nordistes le 1er mai 1862, le général yankee Benjamin Buttler (surnommé « la Bête », ce qui résume le personnage) convoque Armand Edward Blackmar. Pour lui demander des comptes.

Blackmar, qui a une affaire de publication de partitions de musique, a dû – comme tous les chefs d’entreprise de New Orleans s’ils voulaient continuer de travailler – faire allégeance à l’Union. Ce qui ne l’empêchait pas de continuer de publier et de diffuser tous les chants célébrant la Confédération. A commencer par le fameux The Bonnie Blue Flag, si populaire qu’il était en rivalité avec Dixie en tant qu’hymne non officiel du Sud. Furieux de la résistance de New Orleans et de ses habitants, le général Buttler intime l’ordre à Blackmar de détruire toutes les plaques d’impression du Bonnie Blue Flag et toutes les copies du chant. Et il décide de punir de 25 dollars d’amende toute personne surprise à jouer, à chanter ou même à siffloter ce chant subversif…

Pour punir Blackmar d’avoir continué à publier The Bonnie Blue Flag malgré ses interdits, Butler lui inflige 500 dollars d’amende et le condamne à une peine de prison dans le pénitencier nordiste de Ships Island sur le Mississippi. A l’énoncé de la sentence, Blackmar tourne les talons et, encadré par des soldats, quitte le bureau de Buttler en sifflant The Bonnie Blue Flag.

Armand Edward Blackmar est né à Bennington, Vermont, en 1826. En 1834, il suit sa famille à Cleveland, Ohio. Après avoir fait ses études au Western Reserve College, il s’installe en 1845 à Huntsville, Alabama, où il donne des leçons de piano et de violon et, à l’occasion, mitonne des arrangements musicaux pour l’orchestre local. En 1852, il est professeur au Centenary College, une institution méthodiste de Jackson, Louisiane. C’est d’ailleurs là qu’il transformera son prénom en Armand, à cause des nombreux francophones de la ville qui écorchent systématiquement son prénom d’origine : Harmon.

Après quatre années de professorat, il ouvre un magasin de vente d’instruments de musique. Deux ans plus tard, il vend son magasin et s’installe à Vicksburg, Mississippi, où il s’associe avec un nommé E.D. Patton. Les deux associés ouvrent un music store sur Washington Street et commencent à publier des partitions sous le label A.E. Blackmar & E.D. Patton. Un an plus tard, Blackmar était rejoint par son plus jeune frère Henry Clay. Ils vont racheter les parts de Patton et développer une nouvelle société, Blackmar & Bro.

Mais Vicksburg est une trop petite ville pour Blackmar qui rêve de s’installer à New Orleans qui est alors la capitale musicale du Sud et la grande rivale sur ce plan-là de New York et de Philadelphie. En 1860, un magasin, « A.E. Blackmar and Brother », s’ouvre au 74 Camp Street à New Orleans. La même année, Blackmar épouse Margaret B. Meara. Leur premier enfant (ils en auront trois, dont un décédé dans la petite enfance), une fille, naît en 1861. Pour bien montrer leur patriotisme sudiste, ils la prénomment Louisiana Rebel.

Devenu une personnalité de New Orleans, Blackmar reçoit la visite, en mars 1681, de Harry Macarthy, surnommé « The Arkansas Comedian ». Macarthy vient d’écrire The Bonnie Blue Flag, qui a fait un succès à Jackson, Mississippi, et il propose à Blackmar de publier la chanson. Blackmar l’écoute la lui chanter, sur un vieil air irlandais, The Irish Jaunting Car, et n’hésite pas une seconde : il en rachète les droits à Marcarthy pour 500 dollars et un piano.

Après quelques arrangements musicaux de son cru, Blackmar publie The Bonnie Blue Flag. C’est un succès immédiat. Dans le même temps, il publie Maryland, My Maryland !, « chant patriotique » écrit par James Ryder Randall sur l’air de O Tannebaum. Quand d’autre éditeurs publieront ce chant, Blackmar en fera une nouvelle édition avec cet avertissement de Randall : « Ayant vendu les droits de mon poème, Maryland, My Maryland ! à Blackmar & Bro., je certifie que cette édition est la seule qui a mon approbation. »

Dès l’occupation de New Orleans par les Yankees, on l’a dit, Blackmar va être inquiété. D’abord parce qu’il publie des chants patriotiques interdits, mais aussi parce que son réseau de distribution, qui s’étend à Atlanta (Géorgie), à Mobile (Alabama) et à Richmond (Virginia), sert manifestement – sous couvert de partitions musicales – de réseau d’espionnage au bénéfice des Sudistes.
Pendant que Blackmar est en prison et que le général Benjamin « The Beast » Butler traque tous les exemplaires de Bonnie Blue Flag, son frère Henry en récupère autant qu’il peut et s’enfuit à Augusta (Géorgie) où il ouvre un nouveau magasin au 255 Broad Street.

Libéré de prison, Blackmar – toujours placé sous surveillance – va s’employer tout le temps de la guerre à écrire des chants patriotiques sous divers pseudonymes : Beauregard’Manassas Quickstep (signé « A. Noir »), Goober Peas (signé « A. Pender »), Short Rations (signé « Ye Comic »), My Warrior Boy (signé « A.E.A. Muse »), The Gallant Girl That Smote The Dastard Tory, oh (signé « Ducie Diamonds »).

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Son frère Henry, lui, réussit bien à Augusta et ouvre bientôt un magasin plus grand au 199 Broad Street. Avec à son catalogue un des plus grands succès du répertoire sudiste : Our First President’s Quickstep. Un morceau enjoué qui mettait le premier président (et de fait le dernier) de la Confédération, Jefferson Davis, sur le même plan que George Washington.

Armand et Henry Blackmar continueront leur commerce à Augusta jusqu’en 1865. Puis ils vendront leur stock – quelque 15 000 morceaux de musique et 3 700 publications diverses – au parolier John Hill Hewitt.

Après la défaire du Sud, Armand Blackmar s’appliquera à maintenir les traditions musicales sudistes en donnant gratuitement des leçons de piano et de violon, organisant aussi avec d’autres musiciens des concerts gratuits.

Mais les rapports se gâtent entre les deux frères. Henry, qui a toujours regretté de n’être que le « Brother » de la raison sociale, décide de tenter sa chance en solo. Armand quitte alors Augusta et se réinstalle à New Orleans au 1657 Canal Street. En 1868, son affaire étant de nouveau florissante, il ouvre de nouveaux magasins et indique sur ses publications : A.E. Blackmar (successeur de Blackmar & Bro et de Blackmar & Co.).

Henry, lui, ne connaît pas la même réussite et, en 1871, sollicite de son frère un poste d’employé. En 1876, il ouvre son propre magasin en 199 Canal Street, presque en face du magasin de son frère.

Signalons qu’en plus de ses qualités de musicien et de businessman, Blackmar fut un maître aux échecs, développant même une série de « coups », toujours étudiés et appliqués de nos jours : le Blackmar gambit (« la tactique Blackmar »). Et il publiera un article sur le sujet dans le Brentano’s Chess Monthly de juillet 1882.


En 1877, Blackmar déménage à San Francisco où il s’associe avec un certain Louis Davis. C’est un échec et, en 1880, il revient à New Orleans. D’abord employé d’un de ses anciens concurrents, il se remet dans les affaires en 1885. Il mourra trois ans plus tard, le 28 octobre 1888.

Auteur de Singing The NewNation : How Music Shaped The Confederacy : 1861-1865 (Stackpole Books, 2000), E. Lawrence Abel écrit :
— Au début de la guerre civile [comprenez : la guerre entre les Etats, ce que nous appelons en Europe la guerre de Sécession], l’industrie musicale du Sud en était à ses balbutiements. La séparation temporaire entre le Nord et le Sud du fait de la guerre aida à l’abandon dans chants écrits et publiés au nord et au développement d’une industrie musicale vibrante et originale installée dans le Sud. Ce changement dut beaucoup aux efforts de l’infatigable Armand E. Blackmar.

Alain Sanders

— Sources : Civil War Times (vol. XLIII n° 3, août 2004).
— www.thehistory.com

"The Bonnie Blue Flag" (Traduction)

« We are a band of brothers and native to the soil
« Fighting for the property we gained by honest toil
« And when our rights were threathened, the cry rose near and far
« Hurrah for the Bonnie Blue Flag that bears a single star »

« Nous sommes des frères d’armes, tous natifs du même sol / Luttant pour nos terres gagnées au prix d’un honnête labeur / Et quand nos droits ont été menacés, un cri s’est répandu sur tout le pays / Hurrah pour le Bonnie Blue Flag, le drapeau à l’étoile solitaire.

« Hurrah ! / Hurrah ! Pour les droits du Sud, hurrah ! Hurrah pour le Bonnie Blue Flag à l’étoile solitaire.

« Aussi longtemps que l’Union a été fidèle à ses principes / Comme des amis, des frères, des parents, nous avons été / Mais aujourd’hui que la trahison nordiste veut nous priver de nos droits / Nous hissons le Bonnie Blue Flag à l’étoile solitaire.

« C’est la courageuse Caroline du Sud qui noblement s’est rebellée / Et puis vint l’Alabama qui la prit par la main / Et puis, très vite, le Mississippi, la Géorgie, la Floride / Tous hissèrent très haut le Bonnie Blue Flag à l’étoile solitaire.

« Nous, hommes de valeur, nous nous rassemblons autour de la bannière du droit / Le Texas et la belle Louisiane nous ont rejoints au combat / Davis, notre vénéré président, et Stephens sont des hommes d’Etat / Tous rassemblés autour du Bonnie Blue Flag à l’étoile solitaire.

« Et voilà la brave Virginie, Etat de l’Old Dominion / Dans la jeune Confédération elle nous a enfin rejointS / Poussés par son exemple, d’autres Etats se préparent à lever haut le Bonnie Blue Flag à l’étoile solitaire.

« Voilà notre Confédération où nous sommes forts et braves / Comme les patriotes d’hier, nous nous battons pour sauver notre héritage / Et plutôt que d’accepter la honte, nous préférerions mourir / Alors hurrah pour le Bonnie Blue Flag à l’étoile solitaire.

« Hurrah, garçons, hurrah, poussez des cris joyeux / Pour l’Arkansas et la Caroline du Nord qui ont quitté l’Union / Et un hurrah formidable encore pour le Tennessee / L’Etoile solitaire du Bonnie Blue Flag a été multipliée par onze ! »

 

 

 

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