A la (re)découverte d'un grand écrivain oublié :

Albert Bonneau

Il est un chose que je ne saurais vous dire : le nombre d’ouvrages écrits par Albert Bonneau. Sous son nom ou sous divers pseudonymes. Et je pense que personne ne le pourrait : ce grand romancier populaire – le dernier de sa trempe – a écrit des centaines de romans d’aventures, de cape et d’épée, d’explorations et, surtout, de récits westerners (la fameuse série des Catamount dont nous allons parler.

Chez Tallandier, dans la collection « Grandes Aventures », Albert Bonneau sera le successeur direct d’un autre grand écrivain populaire : Louis Boussenard. Mais Tallandier n’aurait pu suffire au très prolifique Bonneau qui publiera à la Bonne Presse, à la Renaissance du Livre, chez Rouff, chez Ferenczi, etc.

S’il a touché à tous les genres, son domaine de prédilection reste incontestablement le western avec un héros particulièrement attachant, Catamount (dont il a trouvé le nom chez Fenimore Cooper) (1). Une série qui ira de la fin des années 1920 aux années 1950, sur deux collections – « Aventures de Catamount », « Nouvelles aventures de Catamount » – et quelque quatre-vingts romans. A quoi s’ajouteront ceux de la collection « Aventures du Far-West ».

Gros lecteur, Albert Bonneau – qui signera Jean Voussac, Maurice de Moulins, capitaine Francœur, Jacques Chambon, etc. – est aussi un cinéphile passionné. Et c’est de ce côté-là que, dans les années vingt, il fait ses débuts en écrivant des critiques de films dans Cinémagazine. Et il n’est que de lire (ou de relire) la série des Catamount pour mesurer ce que le personnage doit aux cowboys d’Hollywood. Sur le site internet qui lui est consacré, on note fort justement :

— Catamount évoque une sorte de Gary Cooper mâtiné de Tom Mix : pas de violence inutile et un sens de la justice exacerbé (ainsi dans Catamount en danger, le héros n’hésite-t-il pas à défendre un criminel contre ses poursuivants menacés par un shérif expéditif), un personnage bien plus présentable que ceux que l’on rencontre, à la même époque, dans les pulps. Le lien est mis en évidence dans l’un des premiers romans-westerns écrit par Albert Bonneau, Tom Mix cowboy (2), dans lequel l’intrigue joue constamment avec les codes du western cinématographique. C’est ce qui différencie Albert Bonneau des romanciers de l’Ouest antérieurs : chez lui, la vision de l’Amérique n’est plus celle littéraire, unitiée par Fenimore Cooper, du coureur de bois, mais celle – visuelle – du cowboy. Depuis Gustave Aimard et Gabriel Ferry, il y a eu L’Attaque du Grand Rapide et ses nombreuses suites qui ont su retranscrire, dans un langage visuel, l’imaginaire inventé, au fil des décennies, par Edward Sylvester Ellis, Zane Grey, Stewart Edward White et tant d’autres.

 

Qui est véritablement Catamount ? Un ranger. C’est-à-dire quelqu’un qui ne plaisante pas avec la Loi et l’Ordre. Un cowboy souvent désigné comme « l’homme aux yeux clairs » (Catamount au quartier chinois, 1954), toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin comme le résument bien les titres de ses aventures : Le Chevalier Catamount (1948), La Justice de Catamount (1948), La Mission de Catamount (1949), Catamount seul contre tous (1949), Le Serment de Catamount (1954), Catamount dans la tourmente (1955), etc.

Orphelin – ses parents ont été tués par les Indiens – Catamount a été adopté par Samuel et Kate Osborne et élevé comme leur propre fils aux côtés de leur fille, Ethel : « Les Osborne n’avaient fait aucune différence entre Ethel et Catamount, les entourant tous les deux d’une même et solide affection… Le jeune garçon avait bien payé de retour ses parents adoptifs, les secondant de son mieux » (Le Défi de Catamount, 1947).

Dans les aventures de Catamount, on trouve tous les mythes du western : les Indiens (Catamount sur le sentier de la guerre, 1953) ; les dangereux hors-la-loi (Catamount et les pilleurs de banque, 1952) ; les shérifs (Catamount shérif de nulle part, 1950) ; les ranchs (Catamount et le ranch du mystère, 1950) ; les Chinois blanchisseurs ou poseurs de rails (Catamount au quartier chinois, 1954) ; l’or (Catamount et l’affaire des pépites, 1955) ; le pétrole (Catamount et la reine de l’Or noir, 1956) ; le rodéo (Catamount au grand rodéo, 1957) ; le poker (Catamount et Myra la joueuse, 1958) ; les mormons (Catamount chez les mormons, 1959). Et même les tuniques rouges (Catamount contre la police montée, 1952) ou le mythe des mythes, Buffalo Bill (Catamount chez Buffalo Bill, 1953).

A propos de Buffalo Bill, on lit encore sur le site consacré à Albert Bonneau :
— L’un comme l’autre ne proposent-ils pas dans leur œuvre un panorama de tous les topoï de l’Ouest mythique, un Wild West Show ? L’auteur n’est d’ailleurs pas dupe du caractère stéréotypique de son imaginaire, et sait très tôt s’en moquer comme dans Tom Cyclone cowboy, dans lequel un acteur (Tom Mix ?) est pris pour un véritable cowboy.

Albert Bonneau est né le 23 août 1898 à Moulins dans l’Allier. Il suivra ses parents à Paris où il passera son bac en 1917. Très vite tenté par le journalisme, il propose ses articles à des périodiques locaux auxquels il collaborera – de 1920 à 1922 – sous divers pseudonymes.

En 1922, il est engagé à la revue Commedia qu’il quitte bientôt pour Cinémagazine. Entre 1923 et 1925, il y publie quelque 350 articles.

En 1927, il quitte le journalisme pour se consacrer à ce qu’il préfère : raconter des histoires inventées. Son premier roman donne le ton de son inspiration et de son savoir-faire : Nicolas la Tempête, frère de la Côte.

En 1935, il épouse, à Chambon-sur-Voneize, Anne-Marie Morel, fille d’un notaire de cette petite ville. Ecrivant tous les jours de 7 h 30 à midi, il consacre son après-midi à la lecture. Et ses loisirs à l’animation du patronage où il fait profiter les enfants de sa prodigieuse imagination en leur écrivant des saynètes et des pièces de théâtre.

En 1956, la reconnaissance tant attendue arrive enfin : la Société des gens de lettres, qui l’accueillera comme membre-sociétaire en 1957, lui décerne le prix Emile-Richebourg.

Gravement malade (une maladie nerveuse), il se soignera pendant dix ans à Chamalières tout en revenant régulièrement à son port d’attache, Chambon. Il y meurt le 24 janvier 1967, rattrapé par la mort que ses héros avaient su si habilement affronter tout au long de son œuvre. Une œuvre immense dispensée au fil de nombreuses collections (chez Tallandier et Ferenczi) ;
— « Grandes aventures et voyages excentriques »
— « Aventures du Far-West »
— « Romans de cape et d’épée »
— « Romans héroïques »
— « Voyages et aventures »
— « Les Aventures de Catamount »
— « Nouvelles aventures de Catamount »
Outre les deux collections consacrées à Catamount que nous avons dites, la collection « Aventures du Far-West » vaut largement le détour. Avec, notamment, L’Espionne du Sud (Tallandier, 1956), qui se déroule pendant la guerre de Sécession et qui – dans le contexte français très convenu sur le sujet : « gentils Nordistes » et « méchants Sudistes » – est un roman atypique. Le personnage de Diana Muzzy, la belle et courageuse espionne sudiste et l’évocation du siège de Vicksbourg, sont traités sans tomber jamais dans la caricature obligée.

Parmi les autres titres à retenir dans la même collection (il y en a plus d’une quarantaine) :
Le Ranch maudit (1951)
Le Vagabond du Far-West (1954)
La Chance de Dick Maitland (1955)
Sam le boxeur (1956)
Les Voleurs de Washita Ranch (1953)
Le Shérif de nulle part (1932)
Les Régulateurs de l’Overland
L’Outlaw du canyon perdu (1953)
— Etc.

A la fin de chaque volume, le suivant – qui ne tardait guère à paraître, l’un n’attendant pas l’autre – était annoncé en termes alléchants. Ainsi, à la fin des Voleurs de Washita Ranch, nous présentait-on Le Courrier de Santa-Fé : « Anselmo, chef des Apaches Mescaleros, se révolte avec ses Indiens au Nouveau-Mexique. Toutes les communications sont coupées entre Santa-Fé et la vallée du Rio Grande. Mais le colonel Sharpe envoie Ben Benson, le courageux courrier de Santa-Fé, pour alerter les colons. Arrivera-t-il à temps et parviendra-t-il à écarter la menace ? » Suivait un petit additif accrocheur : « Lisez dans la collection «Aventures du Far-West» notre prochain volume, un des plus trépidants de toute la série. »

Et c’est vrai qu’ils sont trépidants ces romans, Albert Bonneau ayant le génie de se renouveler de l’un à l’autre.

Exemple de l’accroche de La Chance de Dick Maitland : « Les deux cavaliers qui faisaient partie de l’équipe du ranch “Rectangle B” courbaient la tête sous les rafales. L’eau dégouttait de toutes parts, inondant les Stetsons qui semblaient transformés en fontaine, leurs chemises toutes trempées leur collaient au corps. »

 

« — Un catamount ! s’exclama le pionnier.
« Samuel Osborne identifiait aussitôt un chat sauvage, un catamount, ainsi qu’on appelle ces félins dans les régions lointaines du Far-West. Surpris par l’arrivée inopinée du dogue, le fauve qui, suivant l’exemple des buzzards et des coyotes, devait rôder à travers le charnier, s’était empressé de déguerpir et de chercher refuge sur un vieux saule au tronc noueux.
« Durant quelques instants, le pionnier épaula son arme et mit en joue le félin… Visant entre les deux yeux, il allait presser la détente de son arme quand, brusquement, il se ravisa. Songeant aux Cheyennes qui pouvaient encore s’attarder dans le voisinage, il se dit qu’il serait imprudent de tirer et d’éveiller ainsi l’attention d’un adversaire implacable… »

— In La Jeunesse de Catamount, Tallandier, 1947.

 

Il faut dire que tout cela s’accompagnait de superbes couvertures en couleurs et que les titres, où passaient pampas, chaussée de séquoias, prairies tremblantes, tambours de guerre, ranchs maudits, vallées des buffalos, totems mystérieux, dompteurs de broncos et autres démons des mauvaises terres, finissaient de retenir les jeunes lecteurs.

Aujourd’hui, sinon par l’excellente revue Le Rocambole (bulletin des Amis du roman populaire, 23, rue de Léon, 78310 Maurepas), Albert Bonneau, l’homme aux mille romans et plus, est complètement oublié. C’est dommage car il y a là, pour tous ceux qui n’ont pas trahi l’esprit d’enfance sans lequel on n’est qu’un adulte triste, des pages et des pages et encore des pages de rêve, d’action, d’aventures. Mais, l’avenir n’étant écrit nulle part, il n’est pas dit qu’un jour, peut-être, un éditeur sagace saura redécouvrir cette mine. Et ramener Albert Bonneau à la place qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Alain Sanders

(1) Catamount signifie « chat sauvage » en mohican.
(2) Il s’agit d’une coquille. Il faut lire : Tom Cyclone cowboy.

   
Retour