Les Français en Floride au XVIe siècle

Né En 1562, Jean Ribaut de Dieppe fonde Charlesfort


Dans les années 1560, Catherine de Médicis étant alors régente de France, l’amiral Coligny qui, en bon amiral, aime la mer, rêve de conquêtes lointaines pour la France. Son ambition ? Partir sur les traces des grands aventuriers espagnols, les Cortès, les Pizarre, les Almaro, les Pedro de Valdivia.
L’échec de Nicolas Durand de Villegaignon au Brésil, la prise de « L’île aux Français » et de Fort-Coligny en 1560 par les Portugais, ne l’ont pas découragé. Ses efforts vont alors se porter sur la Floride découverte par Ponce de Leon en 1512, et revisitée en 1524 par Giovanni Verrazzano, un Italien au service d’armateurs de Dieppe et de Rouen.
Pourquoi la Floride (ou comme on dit alors la « Flourède ») ? Parce que les Espagnols, après y avoir pillé tout ce qui pouvait l’être, ont abandonné le terrain. Dans L’Histoire de la Floride française, Paul Gaffarel écrit : « On appelle de nos jours Floride un des Etats qui constituent l’Union américaine. La Floride est une vaste péninsule jetée entre le golfe du Mexique et l’Atlantique. Elle est terminée, au sud, par le cap Sable ou Agi. Le canal de la Floride le sépare de Cuba, et le canal de Bahama de l’archipel des Lucayes.

 

Au nord et à l’est, elle est bornée par les Etats de Géorgie et d’Alabama, sa superficie est de 15 467 000 hectares, un peu plus du quart de la France. Mais, au XVIe siècle, le nom de Floride s’appliquait à un espace bien autrement considérable. La côte actuelle des Etats-Unis, tant sur l’Atlantique que sur la côte du Mexique, était désignée sous ce nom et, pour peu qu’on s’enfonçât dans l’intérieur des terres, on était toujours en Floride. La côte avait été entrevue par Verrazzano, navigateur italien au service de la France, mais elle avait été ainsi nommée par l’Espagnol Ponce de Leon, qui la découvrit le jour des Rameaux ou de Pâques fleuries 1512. »

L’esprit « colonial »

Le pays est alors habité par de nombreuses tribus indiennes, notamment des Chactas, des Séminoles, des Natchez, des Apalaches. Coligny n’a aucun mal à convaincre Catherine de Médicis de l’intérêt qu’aurait la France de s’installer au Nouveau Monde pour contrebalancer la puissance espagnole. D’abord parce qu’elle a l’esprit « colonial » et que, fille de marchand, elle sait estimer la puissance que l’Espagne tire de ses richesses d’outre-mer. Pour mener à bien son projet, Coligny lui propose Jean de Ribaut, dit aussi, plus simplement, « Jean Ribaut ».
Jean Ribaut est un petit gentilhomme normand, né à Dieppe vers 1520. C’est un protestant. Soldat renommé, diplomate talentueux, il a été chargé en 1599 de surveiller, en Ecosse, les intérêts de la France.

Dans Les Pionniers de l’Empire, René Maran écrit : « Rompu à tous les exercices du corps et à tous ceux de l’esprit, intelligent et roué tout ensemble, plein d’allant, plein de feu, plein de sang, débordant de vie, ne pouvant rester longtemps en place, respirant l’audace et l’enthousiasme par tous les pores, toujours prêt à payer de sa personne au moindre signe, féru de la passion de paraître, opiniâtre dans ses entêtements, volontaire et vain par gloriole, ce Normand, fils de Normands, est doué, en dépit de ses pires défauts, d’un tel magnétisme, qu’il exerce un ascendant exemplaire sur tous ceux qui l’approchent. »
Jean Ribaut quitte Le Havre le 18 février 1562. Avec deux navires de guerre – des roberges – lourds et lents à la manœuvre mais tenant bien la mer. Nicolas Barré, qui fut de l’expédition de Nicolas Durand de Villegaignon au Brésil, en 1555, est le maître-pilote d’un des deux bateaux. Parmi les passagers, on relève les noms de Nicolas Malon, Salles, Aubert de la Pierria, Fiquinville, le sergent Lacaille, le tambour Guernache, les soldats Aymon, Lachère, Rouffi, Martin Atinas. Et René de Laudonnière. Ce jeune catholique, aventurier dans l’âme et fervent Français, écrira quelques années plus tard la très précieuse Histoire notable de la Floride.


« Cap français »

Le voyage va durer deux mois. Arrivé en vue de la terre signalée en 1524 par Verrazzano, Ribaut lui donne le nom de « Cap français ». Ce n’est toutefois pas à cet endroit qu’il décide de relâcher, préférant s’engager sur la rivière des Dauphins (aujourd’hui nommée « rivière Saint-Jean ») qu’il remonte sur plusieurs milles. Ayant repéré un site propice, il décide d’aller à terre et de déposer une pierre gravée aux armes du roi de France.
Comme nous sommes le 1er mai 1562, le fleuve où les vaisseaux sont ancrés est baptisé « rivière de Mai » (1). Des contacts sont immédiatement noués avec les Amérindiens. « Leurs pirogues assiègent chaque jour les flancs des deux roberges, écrit René Maran. Jean Ribaut profite de la croissante amitié qu’on lui témoigne pour pousser plus avant son exploration de la rivière de Mai. La réception qu’on lui fait partout passe ses espérances. Les moindres villages lui font fête, le comblent de cadeaux.

Vivres, gibier, poissons, fruits, plumes rares et magnifiques, sparterie du cru, fourrures d’animaux inconnus en Europe, on accumule à ses pieds, on met de force dans ses mains, on porte jusqu’à ses chaloupes, jusqu’à ses roberges, tout ce qu’on croit pouvoir lui être utile, tout ce qu’on devine lui être agréable. »
Les Français donnent, pour remercier leurs hôtes, des bracelets, des miroirs, des étoffes, de la verroterie, toute une petite quincaillerie qui épate les Amérindiens.
Au bout de quelques semaines, les deux navires remontant vers le nord, rencontrent le fleuve Alatamaha rebaptisé « Seine » séance tenante. Seront ainsi rebaptisés – Loire, Somme, Charente, Gironde, Garonne – tous les fleuves et rivières explorés au cours du périple. Les Français arrivent bientôt en vue d’un cours d’eau « dont la profondité était si grande, en particulier à marée haute, que les plus grands vaisseaux, voire les caraques de Venise, auraient pu y entrer »
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Ribaut fait jeter l’ancre près d’une petite île – Edisto ou Ponpon – que les Espagnols avaient nommée Santa-Cruz.
— C’est un endroit idéal, décide Ribaut. C’est là que l’on s’installe.
René Maran : « C’est en ce lieu que s’élèvera Port-Royal. Ses alentours immédiats sont peuplés de chênes, de lentisques, de lataniers et de cèdres de «si suave odeur que cela seul le rend désirable». Leurs branches ploient sous le poids des poules d’Inde qui les chargent. Des perdrix rouges et grises piètent et s’envolent sous les pas. Le fleuve est si poissonneux qu’on y pêche dorades, brochets, perches, saumons et anguilles à ne savoir qu’en faire. » Enthousiaste, Ribaut se fend d’un petit discours :

— Je crois que nul de vous n’ignore combien notre entreprise est de grande conséquence et combien aussi elle est agréable à notre jeune roi. Et pour cette cause, j’ai bien voulu vous proposer devant les yeux la mémoire éternelle qu’à bon et juste titre méritent ceux, lesquels oubliant leurs parents et leur patrie, ont osé entreprendre chose de telle importance. (…) Il n’est pas besoin d’appartenir à la noblesse pour rendre service à son pays. (…) Je vous supplie donc tous d’y aviser, et de me déclarer librement vos volontés : vous protestant si bien imprimer vos noms aux oreilles du roi et des princes, que votre renommée à l’avenir reluira inextinguible par le meilleur de notre France.

Charlesfort

Deux îles sont à cheval sur le fleuve reconnu par Ribaut. La plus petite est baptisée « Ile de Libourne », la plus grande « Ile de Charlesfort ». Quant au bras de fleuve qui sépare l’une de l’autre, il est nommé « Chenonceaux ».
Ayant pris toutes dispositions avant de rentrer en France chercher des renforts (Albert de la Pierria a été chargé de fortifier les lieux), Ribaut s’adresse de nouveau à ses hommes :
— J’ai à vous prier, Albert de la Pierria, en présence de tous, que vous ayez à vous acquitter si sagement de votre devoir, et si modestement gouverner la petite troupe que je vous laisse [moins de trente hommes], que jamais je n’aie occasion que de vous louer.

Et vous, compagnons, je vous supplie aussi de reconnaître le capitaine Albert, comme si c’était moi-même qui demeurât, lui rendant obéissance que le vrai soldat doit à son chef et capitaine, vivant en fraternité les uns les autres sans aucune dissension et, ce faisant, Dieu vous assistera et bénira vos entreprises.

Ayant dit, Ribaut repart en direction du nord, longe les côtes de la Caroline actuelle et met à la voile, avant d’être inquiété par les Espagnols qui peuvent musarder dans les parages, vers la France. Il arrive au Havre le 20 juillet 1562. Pour découvrir que, depuis son départ, la situation politique a évolué. La relative coexistence entre catholiques et protestants est en train de se gâter. Malgré l’angélisme du chancelier Michel de l’Hospital, conseiller de Catherine de Médicis, qui, lors du colloque de Poissy (du 9 au 14 septembre 1561) entre catholiques et protestants, avait déclaré :
— Otons ces mots diaboliques, noms de partis et de séditions, luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens.
Découvrant la gravité de la situation (on s’est entre-massacré à Wassy en Champagne, à Sens, à Rouen, à Lyon, à Tours, à Montpellier), Jean Ribaut s’engage aux côtés de ses coreligionnaires. Avec une telle rage que lorsque, le 12 mars 1563 à Amboise, Catherine de Médicis signe l’édit de pacification, il juge plus prudent de s’exiler en Angleterre et de s’atteler à la rédaction d’un livre sur la Floride. Les Anglais le liront. De près. Et ils en tireront la conclusion qu’il était temps de s’occuper sérieusement de cette partie du Nouveau Monde.
D’autant que, non loin des côtes anglaises, un navire dérivant a été récupéré par des pêcheurs. A son bord, des morts-vivants. Qui s’avèrent être des survivants de Charlesfort… De leur récit, il ressort que, après des jours idylliques, les Français – au lieu de travailler la terre et de vivre de leurs produits – s’en étaient remis aux Amérindiens pour les nourrir. Jusqu’au jour où les Amérindiens s’étaient lassés. Un hiver terrible. Des dissensions internes. Le tambour Guernache pendu par Albert de la Pierria pour insubordination. Et une mutinerie sauvage contre ce capitaine à qui plus personne ne voulait obéir. Et qui finira par être assassiné.

Mutinerie

Les mutins s’étaient alors choisi pour chef le pilote Nicolas Barré. Ne voyant pas revenir Jean Ribaut et les renforts promis, les exilés avaient décidé de construire un petit navire de fortune et de tenter leur chance en voguant vers la France. Pour leur malheur : à court de vivres, contraints de boire leur urine pour survivre, contraints de colmater sans cesse un bateau prenant l’eau de toutes parts, ils en arrivèrent – comme dans la chanson – à tirer à la courte paille pour dire qui serait mangé…
Le sort tomba sur le soldat Lachère. Il fut tué. Dépecé. Dévoré. Et son sang bu à grands traits.
L’affaire va passionner l’Angleterre. Et la reine Elizabeth qui, curieuse de cette mystérieuse Floride, décide d’y envoyer le capitaine Hawkins, assisté d’un des survivants de Charlesfort, Martin Atinas, puis, quelques mois plus tard, le légendaire Walter Raleigh.

Octobre 1565 : la mort de la Floride française

En France, les guerres de religion marquant une sorte de répit après la paix d’Amboise, Coligny décide de renvoyer René de Goulaine de Laudonnière en Floride. Il lui confie trois vaisseaux – L’Elisabeth, Le Faucon, Le Breton – qui quittent Le Havre le 22 avril 1564. A leur bord, le lieutenant d’Ottigny, l’enseigne d’Erlach, le dessinateur Jacques Lemoyne de Mourgues, le sergent-interprète Lacaille. L’Elisabeth est commandé par Jean Lucas, Le Breton par Michel Vasseur, Le Faucon par Pierre Marchant.
Le 5 mai, les vaisseaux sont aux Canaries. Le 20, à la Martinique. Le 21, à la Dominique. Le 22 juin, ils sont en vue des côtes de Floride. On y débarque le 23. Pour retrouver ce qu’il reste de Charlesfort mais aussi des Amérindiens, toujours aussi accueillants.
Laudonnière s’installe sur une petite île qu’il juge stratégiquement bien située et renvoie L’Elisabeth en France avec mission de revenir chargé de vivres, de munitions et de renforts en hommes et en matériels.

Fort-Caroline

Sur la petite île, Laudonnière fait construire, entre le fleuve Sainte-Marys et la rivière Saint-Jean, un fortin qu’il baptise « Fort-Caroline ». C’est une vraie place forte. Avec son corps de garde, ses canons, ses galeries couvertes, son arsenal.
S’étant une nouvelle fois assuré de la bienveillance des Amérindiens de la région et de leur chef, Satouriana, il charge alors le lieutenant d’Ottigny de remonter la rivière de Mai. Il s’acquittera de cette mission avec succès, établissant de nombreux traités d’amitié avec les tribus rencontrées en chemin. Ce qui aura hélas pour effet d’aliéner aux Français l’amitié de Satouriana, en guerre perpétuelle contre les Thiemonogas.
Laudonnière ayant refusé de combattre les Thiemonogas pour le compte de Satouriana et des siens, ces derniers cesseront de ravitailler Fort-Caroline. Bientôt, la petite colonie va s’enfoncer dans le malheur qui a eu raison de Charlesfort : insubordination, revendications de toutes sortes, bagarres et, pour finir, complot.
Dans son Histoire notable de la Floride, il écrit : « Pendant que je travaillais à gagner et à acquérir des amis et à pratiquer tantôt celui-ci, tantôt celui-là, quelques soldats de ma troupe furent subornés de longue main par un nommé La Roquette, originaire du Périgord, qui leur donna à entendre qu’il était un grand magicien et que, par les secrets de la magie, il avait découvert une mine d’or et d’argent en amont de la rivière. Chaque soldat, affirmait-il sur sa vie, en tirerait la valeur de dix mille écus, sans toucher à un million cinq cent mille qui seraient donnés au roi. Ils s’allièrent donc à La Roquette et à un autre de ses complices nommé [Le Gendre], en lequel néanmoins je me fiais beaucoup. Ce [Le Gendre], avide de s’enrichir par tout moyen, et assoiffé de vengeance parce que je n’avais pas voulu lui donner de paquet à porter en France, fit entendre aux soldats déjà subornés par La Roquette, que je voulais les frustrer de ce grand gain en ce que journellement je les occupais à travailler au lieu de les envoyer çà et là à découvrir des terres. »
Un autre que Laudonnière se serait dépêché de brancher, sans autre forme de procès, La Roquette et Le Gendre. Mais Laudonnière, qui est un brave homme, hésite. Son humanité est prise pour de la faiblesse. Les deux rebelles et leurs complices essaient à deux reprises de tuer leur chef. En vain.
C’est alors qu’intervient un des gentilshommes proches de Laudonnière, le sieur de Marillac. Alors qu’il se prépare à rentrer par un vaisseau arrivé de France quelques jours plus tard, il saisit un libelle rédigé par les deux factieux. Sans attendre, il commande qu’on les arrête. Alerté par des complices, Le Gendre part se cacher dans la forêt.

Les Espagnols se réveillent

Marillac reparti pour la France, Le Gendre sort de sa cache et vient implorer le pardon de Laudonnière. Laudonnière le lui accorde. Et Le Gendre l’en remercie en soulevant, quelques jours plus tard, une partie de la garnison. Repoussés par les soldats loyalistes, les mutins s’emparent d’une chaloupe et mettent à la voile pour la mer des Antilles où ils vont se livrer à la piraterie.
Ils le font avec une telle insolence que les Espagnols, installés non loin de Fort-Caroline, en prennent ombrage. Philippe II, qui ne veut pas voir les Français sur les bords de la rivière de Mai, ordonne le démantèlement de Fort-Caroline.
Ignorant des menaces qui pèsent sur le fortin, Laudonnière charge l’un de ses bras droits, un jeune gentilhomme provençal, La Rocheferrière, de remonter la rivière de Mai jusqu’aux monts Appalaches. Il rentrera de cette expédition avec des chaloupes chargées de boucliers d’or et d’argent, de pépites d’or, de fourrures, de pierres précieuses.
Mais le sort – et d’abord la famine – s’acharne sur Fort-Caroline. Dans son Histoire de la Nouvelle France, Lescartot écrit : « S’ils ont eu la famine, il y a grande faute de leur part de n’avoir nullement cultivé la terre, laquelle ils avaient trouvée découverte. Ce qui est un préalable de faire avant toute chose, à qui veut s’aller pencher si loin de secours. Mais les Français, et presque toutes les nations d’aujourd’hui, ont cette mauvaise nature qu’ils estiment déroger beaucoup à leur qualité de s’adonner à la culture de la terre, qui néanmoins est à peu près la seule vocation où réside l’innocence. De là vient que chacun fuyant ce noble travail, cherche à se faire gentilhomme aux dépens d’autrui. On veut apprendre tant seulement le métier de duper les hommes, ou de se gratter au soleil. »
Pour tenter de remédier à la situation, désormais désespérée, Laudonnière fait arrêter un des chefs amérindiens, le cacique Outina. Et il négocie sa libération contre six semaines de vivres. Six semaines plus tard, Fort-Caroline fait de nouveau face à la famine. Les Français effectuent alors des raids pour s’emparer des réserves de mil des tribus floridiennes. Ce qui provoque un soulèvement des Amérindiens. Et le harcèlement des soldats français.

Le début de la fin

Laudonnière prend alors une décision qui lui crève le cœur : le démantèlement de Fort-Caroline et le retour en France sur l’un des trois vaisseaux, qu’il a sagement gardé à l’ancrage.
Le 3 août 1565, des voiles apparaissent à l’horizon. Ce sont les quatre vaisseaux de John Hawkins, dépêché en Floride par la reine Elizabeth. Hawkins accepte de vendre à Laudonnière un de ses quatre navires et une grosse quantité de vivres. Prix du troc : sept cents écus et quelques-uns des canons de Fort-Caroline.
Le 7 août, Hawkins repart vers l’Angleterre pour faire son rapport à la reine. Le 28 août, c’est au tour des Français, auxquels se sont joints quelques Amérindiens, d’appareiller. C’est à ce moment que surgissent d’autres voiles au large : celles de la seconde expédition de Jean Ribaut, rentré en grâce et chargé par Coligny de se réinstaller en Floride.
C’est une forte escadre de six vaisseaux : La Trinité, La Perle, La Truite, L’Union, L’Epaule de Mouton, L’Emerillon. Jacques Ribaut (fils ou neveu de Jean Ribaut) commande La Perle. Maillard, La Trinité. Machonville, L’Union. Valuot, La Truite. Jean Dubois, L’Epaule de Mouton. Nicolas d’Ornano, L’Emerillon. A leur bord, 600 soldats ; 200 femmes ; une centaine d’artisans ; un ministre, le protestant Robert ; des gentilshommes – Lagrange, Ully, San Marain, Beauhaire, Du Vest, Jonville, La Blonderie – et leur domesticité.
Sans tarder, Jean Ribaut reprend le commandement de Fort-Caroline tout en demandant à Laudonnière de le seconder dans cette tâche. Mais ce dernier, épuisé par tant d’épreuves, refuse. Il n’aspire plus qu’à une chose : rentrer en France.

La guerre

Retapé par les nouveaux arrivants, bien ravitaillé, Fort-Caroline recommence à vivre. Mais il est dit que ce fortin français du bout du monde est voué au malheur. Le 3 septembre, des vaisseaux espagnols prennent position autour du site. Dans la nuit, La Trinité, L’Emerillon et L’Epaule de Mouton réussissent à sortir de la nasse. Le capitaine espagnol, Pedro Menendez de Avila, furieux d’avoir été joué, se lance à leur poursuite. N’ayant pas réussi à les rattraper, il décide de s’occuper de Fort-Caroline. Mais le poste est solidement fortifié et difficilement réductible. Les Espagnols se placent alors en embuscade sur la rivière des Dauphins (qu’ils rebaptisent « San Mateo »).
Le 5 septembre, les trois vaisseaux qui avaient échappé à Pedro Menendez reviennent mouiller devant Fort-Caroline. Pour Ribaut, il n’y a qu’un moyen de s’en sortir : aller à la rencontre des Espagnols, fortifiés à San Augustin, et provoquer le combat. En attendant que la France envoie des renforts.
Accompagné d’Ottigny, de Du Vest, de Lagrange et d’Ully, Ribaut se dirige vers San Augustin. Mais il est surpris par une terrible tempête et ses quatre vaisseaux s’écrasent sur les récifs de la côte floridienne. Avec les rescapés, Ribaut se réfugie dans les forêts proches. Tenu au courant des malheurs des Français par les Amérindiens, Pedro Menenez fait route à marche forcée vers Fort-Caroline où il n’y a plus, sur les cent cinquante hommes de la garnison, que quarante soldats valides.
Le 20 septembre 1565, à l’aube, les Espagnols s’emparent du fortin, massacrant tous les hommes, n’épargnant que les femmes et les enfants. Avec une poignée d’hommes, Laudonnière réussit à échapper au massacre. Par les forêts, les marais, les rivières – la malheureuse troupe en traversera trois à la nage… – les Français finissent pas retrouver La Trinité, commandée par Maillard, et La Perle, commandée par Jacques Ribaut.
Sous le feu des Espagnols, les rescapés gagnent la haute mer le 25 septembre. Jacques Ribaut débarque à La Rochelle dans les premiers jours de novembre. Laudonnière atteint l’Angleterre le 11 et passe immédiatement en France pour faire son rapport à Charles IX et à Catherine de Médicis.

Un massacre

En Floride, Jean Ribaut, qui aurait pu organiser une guérilla contre les Espagnols avec les tribus indiennes ralliées, choisit de se rendre à ses vainqueurs. Cent cinquante de ses hommes se rendront avec lui. Deux cents autres choisiront de tenter leur chance dans la forêt. C’est le bon choix. René Maran : « La mort de Jean Ribaut fut une boucherie d’autant plus ignoble et cruelle qu’il s’était rendu sans condition. Sur les ordres de Pedro Menendez de Avila, Jean Ribaut, d’Ottigny, d’Ully, de Machonville, Nicolas Verdier, Cossette, Lacaille et tous ceux qui s’étaient pliés à leur exemple, furent froidement massacrés. Les uns furent écorchés vifs. On mutila les autres. C’était à qui raffinerait dans l’art de torturer ces malheureux. »
En sorte que, écrit un chroniqueur de l’époque, « les Espagnols gagnèrent le champ et emportèrent cette glorieuse victoire, tuant ceux-là vaillamment qui s’étaient rendus ».
Nous étions en octobre 1565. Et la Floride française avait cessé de vivre.

Alain Sanders

(1) Il s’agit sans doute de l’actuelle rivière Sainte-Marys qui fait quasiment frontière entre la Géorgie et la Floride.

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