La Glorieta Pass :

ce « Gettysburg de l’Ouest »

Si la célèbre bataille de Gettysburg (Pennsylvanie) en juillet 1863 marqua la fin des perspectives offensives de la Confédération des Etats du Sud sur le front Est, la bataille de la Glorieta Pass signifia, dès la première année de la guerre de sécession et après des opérations déterminantes qui restent trop peu connues, la fin de ses espérances dans le Far West. Cette bataille qui acheva, par un stupéfiant retournement de situation, la première campagne offensive de la Confédération, n’opposa que quelques centaines de combattants , loin des grandes batailles rangées qui commençaient de se livrer à l’Est. Elle eut pourtant des conséquences décisives. On peut même penser qu’elle ruina la plus fabuleuse des occasions qu’eut le Sud pendant cette terrible guerre. Cette bataille se livra dans un canyon situé au pied des Monts Sangre de Cristo, dans les régions arides du Nouveau-Mexique, au sud-est de Santa Fé, non loin de Fort Union, le dépôt général du matériel et des vivres de l’US Army au Nouveau-Mexique.

Le rêve impérial

Pour le Sud il avait fait un rêve grandiose, peut-être démesuré, mais qui peut savoir ? Celui d’un véritable « Empire du désert », convoité non pour ses scorpions, ses mesas ou ses saguaros, ni même pour le ciel, d’une beauté sans nom, que l’on peut contempler dans ces régions, mais pour ses richesses : les mines d’or et d’argent du sud-ouest. Trésors qui auraient dû alimenter de façon substantielle les finances et l‘effort de guerre de la Confédération.

A l’origine de ce rêve, qui devint un projet, puis une véritable expédition, se trouvait Henry Sibley, officier de carrière et inventeur de la tente qui porte son nom. Un personnage controversé et qui, bien qu’ambitieux, ne fut pas à la hauteur d’une telle entreprise, que d’autres cependant ne furent pas très loin de mener à bien à sa place. Arrivant de Taos, précisément au Nouveau-Mexique, sa dernière affectation dans l’Armée fédérale dont il venait de démissionner, l’ex-Major Sibley réussit à convaincre, à Richmond, le Président Jefferson Davis, qui le nommera brigadier général et lui confiera l’organisation et le commandement d’une brigade. Recrutée au Texas, elle sera composée des quelques 3 500 hommes des 4th, 5th et 7th Regiments of Texas Mounted Volunteers, commandés respectivement par le lieutenant-colonel William Scurry, le colonel Thomas Green, et le colonel William Steele, accompagnés de quinze pièces d’artillerie, d‘un train des équipages et d’un troupeau de bœufs pour le ravitaillement.

Les dominos

La mission de la New Mexico Army (c’est ainsi que Sibley surnommera sa brigade) était de remonter la vallée du Rio Grande, en s’emparant des forts disséminés sur les rives du fleuve. Gagner le Nouveau-Mexique à la Confédération, ouvrir les portes du Colorado, c’est ce qui avait été convenu avec Davis. Mais, secrètement, Sibley prévoyait d’aller beaucoup plus loin, et une fois le Colorado conquit, d’obliquer vers l’Ouest, dans un grand mouvement stratégique visant à prendre le contrôle des territoires traversés, jusqu’au Pacifique, avec le concours des sécessionnistes locaux qui ne manquaient pas… Denver était agitée par de forts remous, les partisans de la Confédération y rassemblaient secrètement des armes. Dans l’Utah, les Mormons toujours en délicatesse avec le gouvernement fédéral, accepteraient sans trop de peine la juridiction confédérée. Dans le Nevada, nombre de mineurs venaient des Etats du Sud et à Virginia City les autorités fédérales durent mettre « à l’ombre » certains d’entre eux, trop zélés. Quant à la Californie, elle aussi connaissait des troubles, notamment dans le sud, à San Diego, Santa Barbara, San Bernardino, ou encore à Los Angeles, où s’organisa une milice pro-sudiste, les Los Angeles Mounted Rifles, qui eut sa petite épopée. Il fut même question d’annexer enfin – c’était un vieux débat – les provinces frontalières de Chihuahua et de Sonora, le Mexique étant en pleine anarchie.

Au delà des trésors, il s’agissait donc pour Sibley de faire de la Confédération une nation Transcontinentale, par la prise de contrôle de tout le Grand Sud-Ouest, jusqu’aux ports ouverts de la côte Pacifique. Pour peu que l’on s’y prenne bien, pensait Sibley, tout l’édifice fédéral s’effondrerait dans une véritable réaction en chaîne, comme aux dominos…

Arizona !

C’est en Arizona que l’attente de la population était la plus forte et la plus unanime. La possession de cette région se trouvant être déterminante pour le Sud, comme la connexion naturelle entre le Texas et la Californie, la pièce essentielle du grand puzzle. A vrai dire l’Arizona n’existait pas encore, ou à peine, lors des discutions entre Davis et Sibley, et ce dernier, malgré ses grands projets, ne fut strictement pour rien dans sa naissance. Le temps qu’il rentre de Richmond et quelqu’un d’autre l’aura précédé…

« Arizona »... Ce qui fut ainsi baptisé et finira par devenir un Etat, quoique dans des limites très différentes, fut créé par ses habitants en même temps qu’ils en proclamèrent la Sécession, en mars 1861, mais n’exista officiellement que le 14 février 1862, lorsque cette région fut reconnue comme nouveau Territoire par le Congrès confédéré, qui reçu son représentant, Granville Oury, démocratiquement élu. C’est seulement un an plus tard, le 24 février 1863, que le Congrès US créera officiellement son propre « Territoire de l’Arizona » lui donnant alors, comme par vengeance, des frontières arbitraires.

« Arizona » vient probablement de la contraction de l’espagnol « arida zona » : zone aride, et fut constituée, sous sa forme première, de la moitié, située au-dessous du 34 ème parallèle de latitude nord, de ce qui était alors l’immense Territoire du Nouveau-Mexique. Peu peuplé, avec deux points de concentration, le long de la vallée de Rio Grande ,et plus à l’ouest, la région de Tucson, les habitants y avaient conçu un fort ressentiment contre le gouvernement fédéral, qu’ils accusaient de les sous-administrer, au profit exclusif du nord du territoire où se trouvait Santa Fé, la capitale. Ayant réclamé dès 1856 au Congrès US que leur région devienne un Territoire distinct de celui du Nouveau-Mexique, leur requête s’était vue opposée une fin de non recevoir…


Capitaine Jacob Downing

Colonel Chaves

Général Sibley

Governor Henry Connelly

Major John Shropshire

Terreur Apache

Ce sentiment d’abandon fut confirmé en 1861 par l’évacuation des Forts Buchanan et Breckinridge , jugés trop isolés par Washington et le War Department après la sécession du Texas. Cette évacuation eut pour effet dramatique de laisser sans protection les colons installés au sud de la Gila River, et menacés par les Apaches Chiricahuas menés par Cochise, puis par Géronimo… Jetés dans la révolte par la bêtise d’un jeune lieutenant de l’US Army qui accusa faussement Cochise et les siens de l’enlèvement d’un enfant blanc, les irréductibles Chiricahuas , fiers et cruels, menaient une guerilla sanglante, et à leur suite, encouragée par le retrait des « longs couteaux », toute l’Apacheria s’était déchaînée : Minbrenos, White Mountains, Mescaleros, exterminaient tout ce qui ressemblait à un blanc, civil ou militaire, que son uniforme soit bleu ou gris… Car les troupes confédérées, qui prendront le relais des fédéraux en Arizona, tenteront, aussi vainement qu’eux de le sécuriser. Ce sera surtout la tâche des milices locales, dépendant plus ou moins de l’armée régulière. Dans l’ouest de l’Arizona, la partie la plus dangereuse, ce sera aussi le travail des Arizona Rangers. Essentiellement recrutés dans le territoire et organisés sur le modèle des célèbres Texas Rangers, ils auront pour mission de protéger la frontière et d’empêcher les raids indiens et mexicains. Le 1st Regiment of Arizona Rangers appartenant officiellement à l’armée Confédérée, sera levé à Mesilla le 25 janvier 1862, en marge de la campagne de Sibley, et n’aura jamais qu’une seule compagnie, la compagnie « A », forte d’une centaine d’hommes. Lorsqu’ils gagneront Tucson, à la fin février 1862, ils trouveront la petite ville de 3000 âmes en état de siège. Les habitants les accueilleront en sauveurs. Très pro-sudiste, leur milice se battait déjà depuis des mois contre les Apaches sous le « Stars and Bars », que les Rangers hisseront solennellement sur la plazza, le 1er mars. Les « Rangers » resteront à Tucson jusqu’à la mi-mai… Ephémère présence, plus que symbolique pourtant, essentielle et très active. Tucson était d’une grande importance stratégique. Elle était située sur la piste qu’utilisait, avant les hostilités, la compagnie de diligence Butterfield, chargée aussi du courrier. Véritable cordon ombilical allant de l’Est vers l’Ouest, c’était l’unique route à travers cette zone encore sauvage et il fallait absolument la garder ouverte, en empêchant les Apaches de reprendre le contrôle absolu de la région. Les « Rangers » guetteront aussi sur cette même route, au couchant, d’éventuels renforts fédéraux arrivant de Californie.

Les Arizona Rangers auront maille à partir avec les Apaches, bien décidés à ne plus tolérer de soldats blancs sur leurs terres ancestrales. Les accrochages seront fréquents. Le 5 mai, les « Rangers » perdront 4 hommes, massacrés par les Chiricahuas lors d’une expédition fourragère prés de Dragoon Springs, au pied des Dragoon Mountains. Le 9 sera le tour des Rangers de tuer 5 guerriers rouges, au même endroit. Bientôt, près de la précieuse source, à l’entrée du défilé menant à leur refuge inexpugnable, l’armée de l’Union bâtira l’imposant Fort Bowie. Ce sera le début de l’agonie de Cochise et de son peuple… Les « Rangers » basés à Tucson serviront sous le commandement d’un excellent officier, le capitaine Sherod Hunter, chassé de sa ferme par les Apaches et ami de celui qui fut, bien d’avantage que Sibley, le grand homme de cette aventure, le père de l’Arizona : John R. Baylor.

Le Fondateur

Dès janvier 1861, anticipant sur la plus que probable sécession du Texas, John Baylor, un ancien avocat et agent des réserves indiennes, sécessionniste convaincu, commença à recruter des hommes sous le couvert d’une prétendue chasse aux bisons dans les grandes plaines, pour ce qui deviendra le 2nd Texas Mounted Rifles, l’un des deux premiers régiments de cavalerie du Texas confédéré. Après que le Lone Star State ait officiellement choisi son camp, le vieux général Twiggs, géorgien et pro-sudiste, ayant sans trop d’états d’âme remis les propriétés militaires fédérales entre les mains du Comité de Salut Public du Texas, le deuxième bataillon du 2nd TMR, sous les ordres de Baylor, fraîchement promu lieutenant-colonel, se vit assigner sa première mission. Celle-ci consistait à quitter San Antonio pour rejoindre Fort Bliss, près d’El Paso, en laissant en chemin une partie de ses troupes pour constituer l’embryon des futures garnisons des nombreux forts et camps abandonnés par les fédéraux. Sibley, qui empruntait la même route mais dans le sens inverse, allant de Taos à San Antonio et de là vers Richmond, aperçut à l’horizon la poussière soulevée par les cavaliers de Baylor, dut se poser des questions. Il n’avait pas tort.

Tableau de Roy Anderson

Lors du départ du bataillon vers la frontière du nord-ouest, le colonel Van Dorn, que Richmond avait placé à la tête du département militaire du Texas, avait laissé toute latitude à Baylor pour s’opposer à une possible invasion fédérale par l’ouest. Ainsi, lorsque arrivé à Fort Bliss, à la mi-juillet 1861, Baylor apprit que les effectifs de Fort Fillmore au Nouveau-Mexique, la garnison de l’Union la plus proche, était sur le point d’être renforcée, il n’hésita pas et, le 23, il sauta la frontière. Des informateurs lui avaient appris que les habitants de Mesilla, la ville la plus importante du sud du territoire, à quelques miles seulement de Fort Fillmore, avaient hissé le « Stars and Bars » sur la grand-place… On ne pouvait lancer plus belle invitation à Baylor et à ses 250 cavaliers, qui y furent accueillis en libérateurs, le 24 juillet.

Premier combat

Le Major Lynde, qui commandait les 700 hommes du « 7th US Infantry » à Fillmore, avait de bonnes raisons d’être confiant dans sa supériorité numérique. Pourtant, dès le lendemain, la confrontation tourna à sa confusion. Sa cavalerie chargeant à l’entrée de la ville, fut prise en enfilade par le tir des hommes de Baylor renforcés de frontaliers du Texas et de volontaires locaux retranchés derrière un muret en adobe, le long de la route principale… Ce fut vite la panique. Stampede ! Les fiers cavaliers de l’Union tournèrent casaque, bousculant sévèrement au passage leur propre infanterie qui suivait… Lynde n’insista pas davantage. Il se retrancha dans le fort avec ses hommes. Passant alors d’un excès de confiance à la déprime la plus complète, s’étant convaincu qu’il affrontait des forces beaucoup plus importantes que prévues, Lynde évacua Fort Fillmore le 27 juillet, après l’avoir incendié. Baylor et ses cavaliers lui ayant coupé la retraite à San Augustin Pass, ses hommes en piteux état, Lynde jeta définitivement l’éponge et se rendit.

Lorsqu’ils apprirent le désastre, les commandants de Fort Thorn et Fort Stanton abandonnèrent à leur tour leurs positions, les garnisons se repliant sur Fort Craig… Sans l’ombre d’un Yankee jusque-là , disposant d’une solide tête de pont, Baylor fit un retour triomphal à Mesilla, d’où il proclama, le 1er août 1861, la naissance du nouveau « Territoire confédéré d’Arizona », ouvrant ainsi la voie à sa reconnaissance par Richmond. Il fit de Mesilla sa capitale, et, dans la foulée, se nomma lui-même gouverneur.

Le sabre et le sablier

Baylor avait beaucoup accompli avec peu de moyens durant l’été 1861, alors qu’il faudrait encore de longs mois avant que Sibley ne revienne de Richmond, n’achève son recrutement et ses préparatifs et ne fasse franchir à sa brigade, en plusieurs colonnes, pour ne pas risquer d’épuiser les points d’eau, les 700 miles de San Antonio à Fort Bliss… Un temps précieux sera ainsi perdu. Ce n’est en effet que le 3 janvier 1862,le plus gros de sa brigade se trouvant rassemblé, que Sibley franchit la frontière, occupant Fort Thorn encore un mois durant, en attendant que le reste de ses troupes le rejoigne enfin… La prise de contact entre Baylor et Sibley, ne se passa pas au mieux. Les deux hommes étaient naturellement rivaux. Baylor, le sabre à la main mais toujours un œil sur le sablier, se défiait du temps qui jouait contre les Sudistes et Sibley lui semblait trop confiant sur ce point. Lui même était partisan d’aller, au plus vite et au plus court, vers la Basse-Californie et il avait rongé son frein durant des mois, organisant la lutte contre les Apaches, recrutant autant qu’il pouvait dans le Territoire, réclamant vainement des renforts à ses supérieurs pour sécuriser l’Arizona. Il menaça même d’évacuer la région, ce qui lui valut une querelle avec un journaliste qui l’avait accusé de lâcheté, et qu’il tua en duel… Certes l’envoi de Hunter vers l’ouest avec ses Rangers, ainsi que la mission diplomatique du colonel Reily, envoyé par Sibley auprès du gouverneur de la Sonora, pour négocier l’accès au port de Guaymas, servaient plutôt sa vision. Qu’aurait-il fait s’il avait connu la nature exacte des projets de Sibley ? Toute l’ampleur du mouvement via le Colorado, l’Utah et le Nevada, pour finalement atteindre la Californie… Baylor, bel et bien supplanté, dut remettre son commandement à son supérieur, qui plus est mandaté par Jefferson Davis, lui abandonnant ses cavaliers, pour être relégué à des tâches administratives, espérant que rien ne viendrait compromettre son œuvre.

La stupéfaction passée, les fédéraux avaient eu le temps de s’organiser sous le commandement d’un excellent officier, le colonel Edward Canby. A Fort Craig, qui était le prochain objectif des Sudistes, il disposait de près de 4000 hommes dont les 2/3 recrutés dans le Territoire, notamment l’excellent 1st New Mexico Volonteer Regiment, du lieutenant-colonel Kit Carson, le célèbre aventurier et éclaireur de l’armée, qui s’était installé à Taos. La plupart de ces soldats étaient hispaniques et détestaient les Texans. Un sentiment commun au Nouveau-Mexique, même s’il y eut de nombreux volontaires hispaniques dans l’armée confédérée, comme les frères Benavidès. Canby pouvait aussi compter sur les volontaires du Colorado, dont le gouverneur avait décrété l’état d’urgence. C’étaient de rudes gaillards, mineurs et frontaliers, qui joueraient un rôle déterminant dans l’échec brutal des sudistes…

Les canons de Valverde

Au commencement tout se passa bien pour Sibley. Le 7 février 1862, il quitta Fort Thorn avec Green et Scurry, laissant Steele sur ses arrières avec une partie de son 7th « TMR », et remonta la vallée du Rio Grande en longeant la rive occidentale. Il arriva le 16 février près de Fort Craig. Canby refusa tout d’abord le combat, se retranchant dans le Fort que ses défenses rendraient difficiles à prendre. Sibley se déroba. Il évita le fort en passant sur la rive orientale le 19 février, comptant marcher vers Albuquerque après avoir retraversé le fleuve, un peu plus au nord, au guet de Valverde…

Canby sut alors qu’il n’avait plus le choix. Pour ne pas voir ses communications coupées, il devait empêcher les Texans de passer dans son dos. Il envoya des troupes pour leur bloquer le passage du fleuve. Le 21 février, apercevant l’avant-garde sudiste qui s’apprêtait à traverser de nouveau vers l’Ouest, les premiers cavaliers fédéraux se ruèrent dans l’eau et la repoussèrent, traversant le fleuve et prenant position de l’autre côté, installant de l’artillerie sur la rive occidentale. Les renforts des deux camps allaient bientôt engager le combat. Sous une pluie d’obus, les hommes de Scurry tentèrent vainement de reprendre la rive, et les renforts fédéraux manquèrent de peu de le flanquer… C’est là que se place l’une des rares charges de lanciers ( ! ) de la guerre. En effet, deux compagnies de la cavalerie sudiste était armées de lances. La charge héroïque et suicidaire – une charge en ligne ! – d’une cinquantaine d’entre eux, façon « charge de la brigade légère », eut pour seul effet leur massacre sous les balles et les baïonnettes ennemies. Seuls trois hommes y survécurent… Entre-temps Canby avait pris personnellement le commandement des Fédéraux, cependant qu’on the field du côté sudiste, Green avait remplacé Sibley, malade, qui dut être évacué vers l’arrière. « Il est encore saoul ! », commencerait-on de murmurer dans les rangs, car nul n’ignorait son penchant pour la bouteille… La manœuvre de flanquement des fédéraux ayant échoué, une de leurs unités ayant manœuvré trop lentement, ce fut le tour des Texans de flanquer, avec succès, leurs ennemis et de prendre leurs canons, les artilleurs du capitaine Mac Rae se faisant tuer sur leurs pièces que les Texans tournèrent ensuite contre les fédéraux. Plus tard « les canons de Valverde », les ayant suivi dans leur retraite, seront le symbole de leur aventure au Nouveau-Mexique.

Le « Général Désert »

Canby préféra décrocher pour se replier sur Fort Craig. La première bataille de cette campagne, qui fit environ 300 victimes, morts, blessés et disparus confondus dans les deux camps, était certes une belle victoire pour les Texans, mais elle révéla surtout toute la fragilité de leur situation… Durant les combats ils avaient vu détruit une bonne partie de leur équipement, de leur ravitaillement, beaucoup de chevaux avaient été tués aussi, nombre de cavaliers se retrouvant transformés en fantassins… Comme toutes les armées en campagne, et plus encore, compte tenu des conditions climatiques extrêmes de cette région, la New Mexico Army dépendait très étroitement de son approvisionnement régulier en munitions et fournitures diverses, en vivres et , bien sûr, en eau. Son existence était suspendue à ce fil, qu’il soit rompu et ce serait le désastre… Les Sudistes s’en rendaient bien compte, de même que Canby, qui allait s’employer à gagner du temps ,et qui espérait qu’avec un peu de chance, le « Général Désert » serait son allié le plus précieux.

Ayant reprit sa marche sur Albuquerque le 23 février, toujours avec Fort Craig et Canby dans son dos, Sibley fut accroché le 25, à Socorro, par une milice hispanique que les Texans écrasèrent facilement avec leur artillerie. Peu leur importait de se battre encore, ils étaient venus au Nouveau-Mexique pour cela… C’est le ravitaillement désormais qui était logiquement devenu leur obsession, leur avant-garde emmenée par le Major Pyron, ramassant en route tout ce qu’elle pouvait récolter, de gré ou de force. Les ordres de Canby étant d’éviter le combat et de ne rien leur laisser, les troupes fédérales évacuèrent Albuquerque pour Santa Fé, le 1er mars, emportant avec elles dans des chariots tout ce qu’elles pouvaient, brûlant le reste… Arrivant le matin suivant, les Texans s’appliquèrent à sauver tout ce qui pouvait l’être. Par chance pour eux, les fédéraux, dans leur hâte, avaient oublié d’incendier un de leur dépôt, à l’extérieur de la ville. Un convoi à destination de Fort Craig, qui passait imprudemment à proximité, fut saisi lui aussi. Tout cela fit bien l’affaire des Texans qui continuèrent, d’un cœur plus léger, leur progression vers le nord. Le 4 mars les fédéraux évacuaient Santa Fé, la capitale du Nouveau-Mexique… L’énorme convoi, 120 chariots croulant sous le poids, escorté par la troupe, se précipita vers Fort Union, le dernier bastion fédéral dans le Territoire, avec le gouverneur dans les bagages... Pourquoi Sibley ne se mit-il pas sur leurs talons, pour exploiter ce qu’il faut bien appeler une panique ? Toujours est-il que c’est seulement le 13 mars que le « Stars and Bars » flotta finalement sur Santa Fé. Le sablier, toujours le sablier…

Encore un pas…

Après une stupéfiante marche forcée de 400 miles,de Denver jusqu’à Fort Union , en seulement 13 jours , à travers la montagne et un blizzard terrible, le colonel Slough et ses 950 Pike’s Peakers du Colorado n’étaient pas disposés à attendre sans rien faire que les Sudistes les attaquent. A grade égal , mais étant plus âgé que lui, Slough prit le commandement au colonel Paul. Contre les ordres de Canby, il quitta le fort le 28 mars ,avec près de 1500 hommes comprenant ses gars du Colorado, des fantassins et des cavaliers de l’armée régulière, des miliciens territoriaux et huit pièces d’artillerie avec leurs servants. Il prit la vieille Santa Fé Trail,vers le sud–ouest. C’est sur la vénérable piste que la New Mexico Army allait rencontrer son destin, car de Santa Fé vers Fort Union (quel symbole !) c’était aussi, dans l’autre sens, la route des Sudistes vers l’ultime objectif dont la réduction mettrait enfin tout le territoire sous leur contrôle, leur ouvrant la route du Colorado, leur fournissant, avec ses énormes stocks, tout ce dont ils avaient besoin. Encore un pas, rien qu’un seul !…

L’après-midi du 26 mars, au sud des Monts Sangre de Cristo, dans un défilé appelé Glorieta Pass, l’avant-garde de Slough – environ 400 hommes – surprit une patrouille sudiste. L’interrogatoire des prisonniers leur apprit que Pyron était sur le point d’atteindre l’entrée d’Apache Canyon, à l’extrémité ouest du défilé. Les fédéraux s’y ruèrent aussitôt. Alors qu’ils prenaient position, ils furent à leur tour surpris par l’arrivée des Texans, en nombre équivalent, qui commencèrent aussitôt à les bombarder… Mais leur chef était un homme énergique, c’était bien la plus grande qualité du Major John Chivington une sorte d’intransigeant et violent prophète barbu toujours prompt à invoquer la divine parole de colère, plein de ressentiment contre le Sud et qui, plus tard, devait tristement s’illustrer lors du massacre de Sand Creek (Minnesota), à la tête du Bloody Third. Chivington fit escalader les hauteurs à ses hommes, afin de flanquer les Texans, ces derniers, rejoints par leurs renforts, s’enfonçant alors plus profondément dans le canyon pour échapper aux tirs meurtriers. Les Texans prirent alors de nouvelles positions, suivant la tactique de leurs ennemis, se postant sur les rochers de chaque côtés du canyon et prenant à leur tour en enfilade leurs poursuivants. Ne se laissant pas démonter, Chivington lança de nouveau ses hommes vers les hauteurs, à l’assaut des Texans, qu’ils repoussèrent peu à peu. Au fond du canyon, les gars du Colorado chargèrent impétueusement l’artillerie sudiste, les chevaux emportant leurs cavaliers, glissant sur les pentes d’un fossé dont les Texans avaient détruit la passerelle, remontant de l‘autre côté, et dans un même élan se retrouvant bientôt au milieu des canons, sans que rien n’ait pu les arrêter, semant la mort parmi les servants à coups de revolvers et de sabres… Ce fut le signal de la retraite pour les hommes de Pyron, qui abandonnèrent le terrain, réussissant miraculeusement à sauver leurs canons. La lutte pris fin avec l’obscurité qui tombait. On put bientôt secourir les blessés et enterrer les morts. On compta cinq tués, quatorze blessés et deux disparus du coté de l’Union, les pertes du coté sudiste restant inconnues. Le combat d’Apache Canyon était la première victoire de l’Union au Nouveau-Mexique. Le vent avait commencé de tourner…

La Glorieta Pass

Le lendemain, 27 mars, même si rien ne se passa, chacun attendant ses renforts, tout présageait une nouvelle bataille dans les prochaines heures. Sous le commandement de Scurry (Sibley, de nouveau « malade », était resté à Albuquerque) les Texans, se regroupaient au Ranch Johnson, un relais de diligence situé à l’extrémité Ouest de Glorieta Pass. Les fédéraux quant à eux, sous le commandement de Slough, se trouvaient à l’extrémité Est, près d’un autre relais, le Ranch Kozlowski. Le matin du 28 mars, les deux forces marchèrent à la rencontre l’une de l’autre.

Scurry avançait avec toutes ses troupes, environ un millier d’hommes à pieds (des deux côtés on combattait « démonté ») n’ayant laissé au Ranch Johnson qu’une petite garde, pour veiller sur ses 80 chariots et sur le corral où étaient parqués chevaux et mules. Slough, lui, n’avait déjà plus qu’une partie de ses 1300 hommes. Un bon tiers, environ 500, sous les ordres de Chivington et guidés par des territoriaux, tentaient de couper à travers la montagne, pour rejoindre l’ouest du défilé et prendre les Texans à revers.

La rencontre entre les deux forces principales se produisit au milieu de Glorieta pass, près d’un troisième relais surnommé Pigeon’s Ranch. Les Sudistes, précédés de trois de leurs canons, qu’ils réussirent à positionner rapidement sur une hauteur, prirent aussitôt les fédéraux sous leur feu mortel, creusant des trous dans les rangs des soldats de l’Union qui tenaient courageusement leur position. Pendant que les Texans se déployaient face à lui en ligne de bataille, Slough lança une partie de ses hommes sur les rochers, des deux côtés du défilé, pour tenter une manœuvre de débordement. Sur le flanc gauche de Scurry, les hommes du Colorado semblaient bien décidés à s’emparer des canons qui les pilonnaient… Mais ils furent repoussés, après un sauvage corps à corps, par une contre-attaque sudiste. Au même moment Scurry réussissait à flanquer la gauche fédérale, dont le centre menaçait aussi de craquer… La pression était trop forte et Slough décrocha vers de meilleures positions, autour de Pigeon’s Ranch. Pendant qu’une partie des Texans les poursuivaient, commença un duel d’artillerie qui tourna à l’avantage des fédéraux, ayant mieux positionné leurs pièces cette fois-ci, réussissant même un coup au but qui détruisit l’un des canons sudistes. Cette défaillance de leur artillerie n’empêcha pas les hommes de Scurry de repartir à l’assaut, encore, et encore… A la sixième charge, au sixième échec, les fédéraux contre-attaquant à la baïonnette, Scurry, le visage en sang, se retira sur ses positions principales. Le combat ne cessa pas pour autant et bientôt les Texans réussirent une nouvelle fois à prendre en enfilade, à partir des hauteurs, le flanc droit de Slought, qui décrocha, encore une fois, vers l’Est de Pigeon’s ranch, d’où il repoussa une nouvelle charge. Sanglante et harassante répétition… La bataille faisait ainsi rage depuis six longues heures, attaques et contres-attaques se succédant, sans qu’aucun des deux camps ne semble pouvoir emporter la décision finale… Finalement c’est Slough, épuisé, mais se demandant surtout où avait bien pu passer Chivington et ses cinq cents gars du Colorado, qui lui avait fait cruellement défaut durant la bataille ,qui rompit l’engagement. Ecœuré, se sentant trahi, il donna l’ordre de la retraite générale vers le Ranch Koslowski. Après une bataille qui avait fait 83 morts et blessés du côté de l’Union, ainsi que 36 tués et 60 blessés du coté des sudistes, ces derniers restaient maîtres du terrain. L’étrange rapidité avec laquelle ils proposèrent une trêve ,n’attira pas l’attention de Slough sur l’instant : tant mieux si l’on pouvait au plus vite soigner les blessés. Ce n’est que dans la soirée qu’il comprit tout…

Le désastre

Plusieurs heures après la fin des combats, Chivington et ses hommes réapparurent finalement au ranch Koslowski. Ce qu’ils racontèrent à leurs camarades était proprement extraordinaire…

Ils s’étaient tout simplement égarés dans les méandres de l’inextricable et chaotique wilderness montagneux. Mais cette errance avait eu une conséquence inattendue et décisive. A la tombée de la nuit, trouvant enfin l’extrémité ouest du défilé, ils découvrirent alors, en contrebas, le Ranch Jonhson et les chariots sudistes. Devant une telle aubaine Chivington savait ce qu’il avait à faire. Au moyen de cordes, il fit silencieusement descendre ses hommes des hauteurs, ces derniers se saisissant alors de la garde, ébahie… Les hommes du Colorado s’appliquèrent alors à leur besogne de destruction, et les chariots avec leurs précieux contenus ne furent bientôt plus que des amas de débris fumant. Il y avait encore les quelques 500 chevaux et mules du corral… Ils les égorgèrent tous pour parachever le travail, avant de repartir vers le Ranch Koslowski par le même chemin. Un courrier Texan arrivant près du Ranch Johnson et assistant, épouvanté, à la scène, fit demi-tour au grand galop pour annoncer la terrible nouvelle à Scurry qui, assommé, sut alors qu’il n’avait remporté qu’une victoire à la Pyrrhus.

Démuni de tout, Scurry n’avait plus d’autre choix que de faire retraite vers Santa Fé, comme il pouvait, la plupart de ses hommes étant désormais à pied. Slough ne le poursuivit pas, lui et ses gars avaient eu leur compte de combat… Ils regagnèrent Fort Union ou – paradoxalement – Slough fut menacé de la cour martiale pour avoir désobéi aux ordres. Il démissionna aussitôt et rentra au Colorado, dégoûté. Sibley rejoignit Santa Fé début avril, mais apprenant, quelques jours plus tard, que Canby approchait d’Albuquerque, il s’y précipita de nouveau, avec toutes ses troupes, pour sauver les ultimes chariots de ravitaillement qui y étaient stockés. Les fédéraux arrivant de Fort Union purent ainsi reprendre Santa Fé sans tirer un coup de feu et opérer rapidement leur jonction avec Canby, au Nord-Est d’Albuquerque. Désormais réunies, toutes les forces de l’Union au Nouveau-Mexique se préparaient à tomber sur le dos des Texans qui, débordés, décidèrent la retraite. Celle-ci commença le 12 avril, la New Mexico Army longeant les deux rives du fleuve vers le sud. Pourtant Sibley voulait encore tenter un ultime effort et s’emparer des stocks de Fort Craig, où Canby n’avait laissé que peu d’hommes. Ce dernier ruina leur dernier espoir en rattrapant, le 15 avril, les Texans rassemblés près de Peralta. Ceux-ci s’étant retranchés dans le village, ne voulant pas risquer un difficile combat de rue, Canby se contenta de les bombarder. Une violente tempête de sable s’étant déclenchée, Sibley en profita pour s’échapper en passant sur la rive ouest…

La retraite

Après Peralta ce ne fut plus qu’une lente agonie. Fatigués et démoralisés, pressés par les fédéraux et presque à court de munitions (ils avaient dû abandonner une partie de leur bagages dans leur fuite) les Texans n’étaient plus en mesure de livrer bataille. Le 17 avril, Sibley décida de bifurquer vers l’ouest et d’effectuer une large boucle, en s’éloignant du fleuve, pour éviter Fort Craig et échapper à Canby . Ce fut un véritable cauchemar… Brûlés par la soif, affamés, en guenilles, harcelés par les Apaches, totalement épuisés, transformés en zombies, les Texans mirent une bonne semaine pour accomplir cet atroce détour de 100 miles, à travers les montagnes désolées de San Matéo. La discipline fut réduite à néant, l’équipement, les derniers chevaux, les blessés étaient abandonnés le long de la route, personne ne relevait celui qui tombait, chacun pour soi… Retrouvant enfin les eaux du Rio Grande le 25 avril, les survivants y furent secourus par une patrouille de leurs camarades du 7th TMR restés à Mesilla sous les ordres de Steele. Sous leur escorte, ils atteignirent la ville à la fin du mois. Des 2500 hommes qui en étaient partis en février, il n’en restait qu’un peu plus de 1500...

Rejoignant Fort Bliss, ils y végétèrent encore un mois durant, reprenant des forces, Sibley achevant de tout gâcher en écrivant à ses supérieurs : « Le Territoire du Nouveau–Mexique ne vaut pas le quart du sang et de l’argent qui ont été gaspillés pour le conquérir… », avant de rentrer à San Antonio avec le plus gros de ses troupes, sans se retourner. Richmond lui demanderait bientôt des comptes sur sa conduite durant la campagne…

Baylor, quant à lui, ne s’avoua pas vaincu. Il allait lui aussi rejoindre San Antonio, mais afin de recruter de nouvelles troupes pour reconquérir l’Arizona… En décembre il aura déjà réuni 1500 des 2000 hommes prévus pour l’Arizona Brigade, lorsque ses efforts seront réduits à néant par un ordre direct de Richmond, le relevant de son commandement. En mars 1862, lassé par les Apaches et expéditif de nature, Baylor avait donné l’ordre de les exterminer tous, par surprise au besoin, y compris sous le couvert du drapeau blanc… Cet ordre, qui ne fut jamais appliqué, scandalisa Jeff Davis dont la politique était de s’allier les Indiens. Exaspéré, pour bien faire comprendre son point de vue, Baylor enverra aux autorités militaires du Texas une lance indienne. Celle-ci était décorée d’un scalp de femme blanche… Puis il s’engagera de nouveau dans l’armée, comme simple private. Plus tard, candidat (victorieux) au Sénat confédéré, Baylor y intriguera pour reprendre son vieux projet en Arizona. Il était en train d’organiser une nouvelle expédition, lorsque la Confédération s’effondra en 1865.

Le colonel Steele fut le dernier à quitter Mesilla. Il était resté en arrière garde, une fois de plus, attestant encore un peu la présence confédérée en Arizona… Il fut rejoint le 27 mai 1862 par Hunter qui avait du évacuer Tucson sous la pression de la California Column, forte de 2000 hommes, qui avançait vers l’Est. Hunter et ses « Rangers » les avaient retardés autant que possible, les accrochant à Stanwix Station, le 30 mars, l’engagement le plus à l’Ouest de toute la guerre, puis à Picacho Pass le 15 avril . Ils avaient gagné un bon mois à leurs camarades. Mais lorsque l’avant-garde des Californiens atteignit Fort Thorn et le Rio Grande, le 4 juillet, chacun sut que c’était la fin. Sans nouvelle, aucun renfort n’arrivant, à court de ravitaillement et confrontés à l’hostilité croissante des Hispaniques, Steele et ses hommes franchirent la frontière le 8 juillet.1862 Les derniers sudistes à partir furent Hunter et ses Rangers. Avec eux, les plus valeureux peut-être, s’éloignant vers l’Est, l’Arizona confédéré était mort, il ne restait plus rien du grand rêve impérial.

Gloire et poussière...

Lionel Aimecet

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