Hommage aux Louvin Brothers

Dans les années 30, ont fleuri plusieurs duos célèbres venus du Kentucky ou de Caroline du Nord. Comme les Callahan Brothers, les Blue Sky Boys (Bill et Earl Bolick) dont la popularité cumula dans la décennie suivante au moment paradoxal de leur retrait professionnel pour ne pas avoir à entrer dans un style plus commercial. Et, bien entendu, Bill et Charlie Monroe. C'est à cette époque qu'entrèrent en piste les Louvin Brothers, eux mêmes fans des Delmore Brothers...

A Henegar, Alabama, naît Ira le 21 avril 1924, puis Charlie le 7 juillet, tous deux élevés dans la ferme familiale, leur père étant lui même banjoïste d'Old Timey. Après des études communes de guitare, Ira s'attaque d'abord au banjo puis choisit la mandoline. En 1943, installés à Chattanooga, les frangins intègrent les Foggy Mountain Boys pour un programme radio local, travaillant parallèlement dans les filatures locales. En 1944, Ira est démobilisé, intégrant les Kentucky Partners de Charlie Monroe, participant (1947) à une de leurs séances pour 4 titres : I'm Coming Back But I Don't Know When ; It's Only A Phonograph Record ; Down In The Willow Garden et Bringing In The Georgia Mail. Il est suivi par Charlie et ils s'installent à Knoxville, Tennessee, sous le nom des Louvin Brothers.

Smilin' Eddie Hill leur obtient un contrat avec la radio WNOX. Ils le suivent à Memphis avec un programme sur trois autres stations. Hill propose à Fred Rose de Nashville quelques-unes de leurs chansons. Rose en publie certaines. En 1949 ils commencent à voyager : Greensborro (Caroline du Nord), Danville (Virginie). Rose les fait enregistrer pour « Decca » avec Eddie Hill : Alabama / Seven year Blues. Un an plus tard, chez « MGM » où ils côtoient des songwriters comme Bryant, Cochran, Gibson, ils enregistrent au Castle Studio de Nashville. Avec Chet Atkins (guitare solo), Tommy Jackson (violon) et Lightin' Chance (contrebasse). Mais The Gospel Way, You'll Be Rewarded ou I'll Live With God, quoique mémorables, ne rencontrent pas le succès.

Les deux frères travaillent alors à la poste de Memphis avant de passer chez « Capitol » en fin d'année où The Family Who Prays devient populaire. Après une nouvelle période militaire pour Charlie en Corée pendant treize mois, ils obtiennent la reconnaissance nationale avec When I Stop Dreaming à partir de 1955 malgré, déjà, la menace de Ken Nelson de les virer en cas d'insuccès Puis Don't Belive You've Met My Baby et You're Running Wild qui influenceront plus d'un artiste dont Emmylou Harris, Gram Parsons et Chris Hillman des Byrds ou encore les Everly Brothers. Ironie du sort, des années après Ken Nelson, Charlie Louvin et les Delmore Brothers seront élus simultanément au Hall of Fame. D'autres titres moins connus (comme Satan Is Real) demeurent également des chefs d'œuvre. Le dernier succès commun sera Must You Throw Dirt In My Face de Bill Anderson (n°30 en 1962).

Peut être qu'Elvis Presley (avec lequel ils feront près de 100 concerts) aurait pu enregistrer leurs chansons. Mais Ira lui reproche de se comporter « comme un nègre » sur scène. Le problème d’Ira avec l'alcool entraîne bien vite des tracas divers et les amène à une rupture pas franchement amicale après une ultime date dans l'Illinois le 17 août 1963 et des tribulations juridiques avec Ken Nelson et les éditions « Acuff-Rose ». Une biographie de 80 pages d'Howard Miller publiée a compte d'auteur en 1986 raconte ces pénibles moments où, par exemple, lorsqu'ils passent au « Mid-day Merry Go Round » de Knoxville (Tennessee), Ira jette sa mandoline sur scène et a une altercation avec le producteur...

Ira aura aussi connu quatre mariages : Annie Lou Roberts en 1941 (alors qu'il vendait des crèmes glacées) et une fille, Gail. Le divorce a lieu à l'amiable 6 ans après. En 1950, Bobby Lowery de Knoxville qui le quitte au bout de deux années. Fay Cunningham qui veut le tuer et qu'il essaie d'étrangler avec un fil téléphonique à leur domicile. Anne Young enfin avec laquelle il est tué en voiture en 1965 de retour d'un spectacle. Ironie du sort, ce jour-là il est à jeun à la différence de l'aute conducteur.

Avec quelques concessions au rockabilly comme Cash On The Barrel Head, la mandoline d'Ira remplacée à la fin des années 50 par le piano de Floyd Cramer et des chœurs sur tous leurs enregistrements, le duo qui a largement marqué l'histoire de la country music est reconnu au Grand Ole Opry avec sa douzaine d'albums dont Louvin Brothers (MGM E-3426) réédité par « Rounder » (des gravures radio de 1952), Songs That Tell A Story (« Rounder » 1030) ou un inévitable Christmas (« Capitol » T.1616).


Ira Louvin a été inhumé au cimetière d'Harpeth Memory Garden sur la Route 100, à 15 miles à l'ouest de Nashville. En mars 1967, Charlie lui a rendu hommage avec I'll Remember Always. Après sa séparation d'avec Ira, Charlie poursuit sa carrière en solo. Elle sera de bien plus longue durée que celle de son regretté frère…

Un an après leur séparation (1963), Charlie a un premier single,I Don't Love You Anymore, suivi d'un hit avec See The Big Man Cry Mama.

Il fait équipe pendant un temps avec Tommy Hagen de Caroline du Nord qui, de son propre aveu, joue de la mandoline d'une manière aussi remarquable qu'Ira : un vocal de ténor placé très haut et connaît mieux les chansons des Louvin Brothers (quelques 500 compositions) que Charlie lui-même. Alors que My Book of Memories finit en face « B », I Don't Love You Anymore (top 5) a été enregistré à la dernière minute d'une séance sous la conduite de Billy Grammer.


Le single suivant, Once A Day, est donné à Connie Smith. Charlie se tourne alors vers Less And Less de Roger Miller qui entre au top 30 en janvier 1965. See The Big Man Cry, écrit par Ed Bruce, le ramène ensuite au top 10. Il se rattrape avec Bill Anderson en enregistrant Think I'll Go Somewhere And Cry Myself To Sleep qui est son quatrième succès en solitaire et l'un de ses titres fétiches.

Deux autres enregistrements connaissent un succès identique : Will You Visit Me On Sundays ? (top 20) en 1968 et What Are Those Things With Big Black Wings de Dallas Frazier (top 20) en 1969. La collaboration se poursuit avec Ken Nelson qui entraîne Charlie à faire équipe avec la sensuelle Melba Montgomery. Pourtant, confiné dans un répertoire de chansons humoristiques, ce nouveau duo ne connaît qu'un succès modeste, en dépit de cinq succès dont le top 20 (1970) : Something To Brag About. En dépit de chansons classieuses comme le One By One de Red Foley et Kitty Wells, de quelques impeccables albums, on leur conseille à l'époque de ne pas changer de route au milieu du gué. Un autre succès notable avec Melba est le Did You Ever ?. Assez curieusement ce titre comme d'autres n'est pas distribué par « Capitol » en Grande Bretagne sous le prétexte qu'il est trop niais…

Après Ken Nelson, Charlie est produit par Marvin Hughes (pianiste sur When I Stop Dreaming) puis George Richey, le mari de Tammy Wynette avec laquelle il a chanté quelquefois à l'occasion de funérailles dont celles de Sue Brewer et de la propre mère de Tammy.

Une autre anecdote que Charlie a racontée à Country Music People en 1992 : ami de Tex Ritter (premier artiste country chez « Capitol » en 1942), il a mis 5 ans pour acheter tous les enregistrements rares et autres (transcriptions radio, chansons pour enfants) de Tex quel l'épouse de ce dernier, Doroty, avait pour habitude de distribuer ! Au final, après $ 3.000 de dépenses, les enregistrements en question ont été offerts à la « Country Music Foundation ».

En 1989, Charlie connaît un dernier succès modeste (n°87) The Precious Jewel de Roy Acuff en duo avec son créateur. A la même période, l'ex deejay Jack Gale signe un contrat à Charlie pour son label « Playback » (où l'on trouve par exemple Johnny Paycheck). 50 Years Of Makin' Music rassemble Waylon Jennings, Tanya Tucker, Willie Nelson, Crystal Gayle, Charlie Daniels, George Jones et son ex-partenaire Melba Montgomery.

Du beau linge mais aucune promotion à l'époque, aucune diffusion à l'exception des copies radio données par Charlie lui-même ! Jusqu'à la vente de « Playback » et le quasi détournement de 1.200 copies car Gale ne lui a jamais versé les moindres royalties.

Avant l'enregistrement de The Sound Of Days To Come, Charlie a un accident d'auto le jour du Nouvel An (1999). Côtes cassées, sternum fendu et quarante points de suture à la tête avec en prime une pneumonie... Pourtant, il assume courageusement les séances produites par Mike Headrick avec un bandeau autour de la tête et un autre bandage autour de la poitrine. En mai de la même année, un autre accident entraîne l'amputation du bout de ses doigts que ne changera pas la pose d'éventuelles prothèses. Puis, à l'automne encore de la même année, c’est sa tension artérielle qui pose problème. Une tension qui augmente vite dès qu'il est question de la country music actuelle : « Impossible d'identifier les types ou les filles qui chantent s'ils ne sont pas annoncés à la radio. A l'époque, on pouvait reconnaître tout de suite la voix de Patsy Cline, Kitty Wells, Ernest Tubb, Hank Snow qui avaient tous un style unique. De même, plus de Don Law, Owen Bradley ou Chet Atkins... Aucun décideur à Nashville, ils doivent s'en remettre à Los Angeles ou New York d'abord. »

En 2002 parait enfin The Sound Of Days To Come chez « Country Discovery » : 15 titres allant de Mama's Angels et I Don't Love You Anymore dans de nouvelles moutures à Make My Day Tonight, co-écrit avec Mike Headrick en passant par la ballade de Thom Schuyler et Craig Bickhardt de 1987, This Old House qui lui rappelle avec émotion la ferme d'Henegar où lui et son frère Ira travaillaient dans les champs de coton et justement un nouvel hommage à son frère, Ira, co-écrit avec les frères Tirn et Trent Leclair : I Know You're Up There Singing With The Angels. Ce sera son dernier enregistrement notable sans doute vu son grand âge. En 1993, la chanteuse de bluegrass Liz Meyer et Pieter Groenveld avaient coproduit pour la marque hollandaise de Rienk Janssen, Strictly Country, un album de près de vingt titres enregistrés en public avec le soutien de Charles Whitstein (mandoline/vocal) et Susie Reed (contrebasse), contenant quelques succès des Louvin Brothers et des covers de Mansion On The Hill, Freight Train Boogie, In The Pines. Enregistrement pré-testamentaire car Charlie ne se produit plus guère, à part quelques évènements spéciaux à titre amical comme en août 2001 lors du « Old Time Country/Bluegrass Festival » d'Avoca (Iowa) avec Marvin Rainwater, Jirn et Jesse McReynolds, Claude Gray, Terry Smith, Kenny Baker, Josh Graves, Bob et Sheila Everhart ou encore Bill Grant et Delia Bell. Il déclare vouloir décrocher honorablement et ne pas donner sur scène l'image d'un homme malade et qui n'a plus toutes ses facultés.

Le grand Charlie pourra partir en paix et la tête haute, conscient du travail impeccable accompli pendant toutes ces décennies. Naguère, Don Everly avait repris When I Stop Dreaming dans son premier opus solo, Albert Lee et Ricky Skaggs, en 1979, s’étaient attaqués à Are You Wasting My Time ?. Emmylou Harris nous avait offert Everytime You Leave avec le même Don Everly et You're Learning avec Tony Rice tandis que la même encore avait gravé You're Running Wild avec ses copines Linda Ronstadt et Dolly Parton. A l'été 2003, plus grand encore a été le Songs Of The Louvin Brothers chez « Universal South » sous la conduite de Carl Jackson : outre icelui, on y trouvait en effet de superbes versions (15 titres) de Rhonda Vincent, Joe Nichols, Emmylou Harris, Rodney Crowell, Alison Krauss, James Taylor, Terri Clark, Vince Gill, Merle Haggard, Glen Campbell, Leslie Satcher, Ronnie Dunn, Rebecca Lynn Howard, Kathy Louvin (fille d'Ira), Pamela Brown Hayes, Linda Ronstadt, Patty Loveless, Jon Randall, Dierks Bentley, Harley Allen, Dolly Parton, Sonya Isaacs, Marty Stuart, Del McCoury, Parn Tillis, Johnny Cash !

Jean « Charles » Smaine

Discographie sélective :

Livin Lovin' Losin ('Songs of The Louvin Brothers/ Universal B 458-02) ; Charlie Louvin (CWR 2012). Charlie Louvin (FIH 5) ; Live in Holland, 05/93 (Strictly Country scr-34). The Sound Of Days To Come (Country Discovery). Charlie Louvin And Friends (BSW 1614). The Best of Charlie Louvin (Capitol st-11112). Lonesome Is Me (Capitol st-2482). Ces deux dernières références sont celles des albums vinyl originaux.

Management : Mountain Magic Talent, PO Box 140324, Nashville, TN 37214, (615-8854679).

Copyright Country Music Attitude 2005

 
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