La Bataille de San Jacinto
Dix-huit minutes pour changer la face d'une nation

Au début des années 1800, les autorités de la Nouvelle Espagne, prennent conscience de la pression anglo-saxonne qui s'exerce sur les frontières nord-est (Rivière Rouge et Sabine) d'autant que le gouvernorat de Tejas est très peu peuplé. En 1809, l'entière population espagnole du Tejas était estimée à 4 155 personnes dont 1 000 militaires. Or la superficie du territoire équivaut à celle de la France et la partie dont la colonisation pouvait être immédiatement envisagée, deux fois moins. En septembre 1820, le Cortès promulgue un décret ouvrant le territoire à tout étranger respectueux de la constitution et des lois de la monarchie, disposition rendue nécessaire pour éviter une colonisation illégale face à l'expansionnisme américain.
Information exploitée sans attendre puisque, dès le 23 décembre, Moses Austin, arrive à San Antonio de Bexar pour solliciter auprès du gouvemeur espagnol l'autorisation d'implanter 300 familles de colons au Tejas. San Antonio est en fait le siège du gouvernorat du Tejas. L'agglomération comporte la colonie de Bexar, 5 missions et la villa de San Fernando. Il sera employé indifféremment le terme de Bexar, San Antonio, ou San Antonio de Bexar.

Le 17 janvier 1821, Moses Austin du retour, est chez sa fille dans le Missouri. Il apprend le succès de sa démarche. Mais il a attrapé une méchante pneumonie durant le voyage. Se sentant mourir, il confie à son fils Stephen F. Austin le soin réaliser le projet.

Sam Houston - DR

Ce peuplement du Texas se présentera sous les meilleurs auspices puisque dès le départ Stephen F. Austin, empressario, (agent de colonisation), avait bien fait les choses : en 1821 les premiers colons avaient été triés sur le volet et chacun avait bien compris qu'il serait maintenant citoyen mexicain et s'apprêtait à apprendre l'espagnol... à l'image des colons européens rejoignant les Etats d'Amérique ayant adopté sans sourciller langue anglaise et nouvelle nationalité.
14 ans plus tard le beau schéma n'était plus qu'un rêve.

• Alain Billières, La Bataille de San Jacinto, Editions de Paris, 13 rue Saint-Honoré, 78000 Versailles.


Un maître-livre

Alors que la bataille d’Alamo, sans doute parce que de nombreux films ont été consacrés à cet événement, est très connue en France, la bataille de San Jacinto qui consacra pourtant l’indépendance du Texas et transforma l’avenir des Etats-Unis, n’avait pas encore trouvé en France son historien.
C’est chose faite avec le maître-livre d’Alain Billières préfacé par le général Salvan. Homme de terrain, le lieutenant-colonel Billières, officier des troupes de marine – la légendaire « Coloniale » – a servi pendant vingt-six ans sous toutes les latitudes. Mais c’est son amitié pour le commandant Frederick P. Henry, de Killeen, Texas, et de nombreux séjours au Texas qui lui ont permis de découvrir cette épopée et ses enseignements.


L'enceinte de Goliad



L'Eglise d'Alamo

On peut lire sur le monument qui commémore la bataille de San Jacinto :
« Compte tenu de son résultat, San Jacinto est une des batailles décisives du monde. La liberté du Texas sur le Mexique, gagnée ici, a conduit à l’annexion et à la guerre du Mexique, débouchant sur l’acquisition par les Etats-Unis des Etats du Texas, du Nouveau Mexique, de l’Arizona, du Nevada, de la Californie et partiellement du Colorado, du Wyoming, du Kansas et de l’Oklahoma. Presque un tiers de l’actuelle superficie de la nation américaine, puisque un million de miles carrés [2,5 millions de km2] changèrent de souveraineté. »

Dix-huit minutes – le temps d’une charge furieuse – pour changer la face des Amériques, en effet...
Passionnant en tous points, richement illustré, agrémenté de cartes qui permettent aux esprits peu familiers du sujet de suivre le cours des opérations, le livre d’Alain Billières est un modèle de rigueur historique. En même temps qu’il ne fait pas l’économie d’anecdotes qui traduisent bien le souffle – et l’esprit d’aventure – qui anima ces Texans (on disait plutôt Texians à l’époque) bien souvent personnages de sacs et de cordes.

 

Mais ce livre peut aussi permettre, comme le souligne magistralement le général Salvan, de mieux comprendre la façon dont les Américains raisonnent la conduite de la paix et de la guerre. Comme l’a écrit Samuel Huntington : « L’Américain tend à être extrémiste en ce qui concerne la guerre : ou bien il épouse la cause de tout son cœur, ou bien il la rejette entièrement. »
Avec, en ce qui concerne San Jacinto, cette conviction imprimée dans l’imaginaire américain que la Garde nationale, que des volontaires motivés et peu instruits, peuvent l’emporter sur des troupes professionnelles.
On le comprend : par-delà le récit d’une bataille décisive dont la plupart des Européens n’a jamais entendu parler, Alain Billières donne à son sujet une dimension qui dépasse la simple cause du Texas. Même si les amateurs de cet Etat enchanteur retrouvent là avec bonheur les grandes figures de Houston, Travis, Bowie, Crockett et les autres. « Don’t mess with Texas ! » (« Ne cherche pas de noises au Texas ! ») dit un adage local. Santa Anna aurait bien fait de le méditer...

Alain Sanders

 

 

L'obélisque de San Jacinto

Anciens combattants

 

Sur les bords du Buffalo Bayou

A la limite de Houston, à une trentaine de kilomètres du centre de la ville, là où le Buffalo Bayou entre dans la rivière San Jacinto, se trouve le champ de bataille où le Texas gagna son indépendance. Sam Houston commandait les troupes texanes : il captura Antonio Lopez de Santa Anna Perez de Lebron, le général dictateur mexicain qui s'intitulait lui-même « le Napoléon de l'Ouest ». L'armée des volontaires texans est un assemblage hétéroclite de Texians, américains implantés au Texas depuis quelques années, d'Américains et de Tejanos, les Mexicains nés au Texas. Beaucoup de ces Tejanos ont opté pour l'indépendance plutôt que de subir la dictature centraliste de Santa Anna.

Chez ces soldats volontaires, les hommes élisent leurs officiers et les suivent : ces derniers, sans expérience militaire pour la plupart, contestent souvent les ordres de Houston. Ainsi, une bonne partie de l'armée est plus souvent disposée à obéir à ses idées du moment et à ses sentiments plutôt qu'à une stratégie, voire même au simple bon sens. Au total, 800 à 900 hommes : un régiment. Les Mexicains entraînés, équipés, organisés, disciplinés, sont près de 7 000 au Texas, mais Santa Anna n'est ce jour là qu'à la tête d'une avant-garde de 800 hommes et officiers, qui vient d'être renforcée par 500 soldats arrivés la nuit précédente sous la conduite du général Cos. Pour les Texans, Santa Anna, c'est le dictateur sanglant qui n'a fait aucun quartier à l'Alamo, celui qui a fait massacrer de sang-froid les quatre cents prisonniers désarmés du presidio La Bahia, à Goliad.
Jusqu'ici, Houston a semblé fuir devant l'armée mexicaine. Il manque tellement d'hommes entraînés que, matin et soir, il doit battre lui-même sur un tambour le réveil et l'extinction des feux. Comble de misère, pendant de nombreux jours, l'armée a été encombrée de réfugiés qui fuyaient l'avance mexicaine et qu'elle a dû aider, encadrer et nourrir. A San Jacinto, dans les prairies du ranch de Peggy McCormick, Sam Houston va se battre.

 

Daguerréotype de Sam Houston

La Bataille de San Jacinto - DR

Les deux armées campent face à face. La veille, un premier affrontement a eu lieu. Les Texans ont résisté à l'assaut des Mexicains. A la nuit, chacun s'est replié vers son camp, distant seulement de 900 mètres du bivouac ennemi.
Matin du 21 avril 1836 : l'armée texane se forme en ligne de bataille. Houston et ses officiers tiennent conseil.
« Faut-il attaquer ? Les Mexicains ont l'avantage du nombre : une bataille défensive serait plus efficace. »
Cependant, quelques rares officiers prônent l'attaque...
Midi passe, puis deux heures. A trois heures de demi, le conseil de guerre se décide pour une bataille défensive. Sauf Houston. Les hommes sont là, en position depuis le matin, prêts pour l'action... Ils veulent de l'action ? Houston va leur en donner !
De son côté, Santa Anna a vu les Texans se mettre en ligne et ne plus bouger. Peu à peu, dans le camp mexicain, l'attention se relâche. Raisonnant probablement comme les officiers texans, Santa Anna se persuade que l'ennemi attendra qu'il attaque. Les troupes arrivées dans la nuit sont fatiguées, autant qu'elles se reposent. Demain, il donnera l'assaut, avec des hommes en bonne condition. Peut-être d'autres renforts arriveront-ils entre temps... Le campement se détend : les hommes font la cuisine, mangent, somnolent, réparent leur équipement. Le Généralissime, dira-t-on plus tard, faisait la sieste avec une esclave mulâtre (1) enlevée dans une ferme des environs. Il n'a même pas fait poster de sentinelles.
Les Texans se mettent en marche. Jusqu'à la moitié du chemin, ils avancent en ligne, au son d'un fifre et d'un tambour. Puis l'excitation reprend le dessus : la ligne se déforme, se brise... Un colonel mexicain les voit. Trop tard ! Les canons, de part et d'autre, échangent deux ou trois tirs. A soixante mètres du camp ennemi, Houston parvient à arrêter ses hommes, juste assez longtemps pour faire tirer une salve sur l'ennemi affolé... Puis c'est la mêlée, à l'arme blanche : « Remember the Alamo », « Remember Goliad ». Les Tejanos, dont les frères et les cousins sont morts le 6 mars reprennent le cri en espagnol : « Recuerden El Alamo ! »
Les Mexicains surpris se débandent, malgré les efforts de quelques officiers. En dix-huit minutes, le sort la bataille est réglé, mais le massacre continue pendant plus d'une heure.
Les Texans n'auront que huit morts et vingt-quatre blessés. Plus de six cents cadavres mexicains jonchent le champ de bataille : on les laissera là, en proie aux charognards. Houston prétend qu'ils sont du ressort de Santa Anna. Celui-ci ne s'en préoccupe pas plus que des centaines de Mexicains et d'Américains qu'il a fait tuer en d'autres circonstances.
Le jour du 22 avril se lève. Sam Houston repose sous un arbre : dès le début de la bataille, une balle lui a brisé deux os de la jambe droite et sectionné le tendon d'Achille. Malgré la douleur, il est resté à cheval pendant l'action, et continue de commander.
Soudain, on entend les cris de prisonniers mexicains : « El presidente, el presidente ! ». Santa Anna, en fuite, s'est perdu, a tourné en rond, et a passé la nuit caché dans l'herbe près des marais. Une patrouille vient de le retrouver. Pour n'être pas reconnu, il a tenté de se déguiser : malgré la chemise de soie cousue de diamants qu'il a conservée sous une veste misérable, il a réussi à convaincre les Texans qui l'ont trouvé qu'il n'est qu'un simple officier. Mais ses propres hommes, involontairement, viennent de le trahir : on le conduit au général Houston, qui l'interroge. Chez plus d'un Texan, l'envie de l'exécuter sur-le-champ est forte. Plus subtil, Houston l'envoie au gouvernement provisoire qui lui fera signer la reconnaissance d'indépendance et l'enverra à Washington dire que le Mexique ne prétend plus à la souveraineté du Texas.
Cent ans plus tard, l'Etat du Texas construisit un obélisque de 170 mètres sur le champ de bataille. La colonne est située entre les emplacements des deux camps, marqués par des stèles, et se reflète dans un grand bassin. Moyennant quelques dollars (le prix de l'ascenseur), on accède à une plate-forme d'observation, à 148 mètres de haut, d'où on a une vue panoramique sur les marais d'eau saumâtre, les canaux, et une partie des innombrables raffineries du port de Houston. A proximité de la ville se trouvent 25 % des capacités de raffinage des Etats-Unis.
Sous la colonne, un musée montre les portraits et les uniformes de protagonistes, les objets de la vie à l'époque mexicaine, et même une pointe de hallebarde française, découverte dans les environs de San Antonio. Comment avait-elle échoué là ?
En suivant le bassin, on parvient à un petit cimetière où sont enterrés des combattants de San Jacinto, de la Guerre de Sécession, et d'époques ultérieures. En face, dans une darse du Buffalo Bayou, est arrimé le Battleship Texas. Lancé en mai 1912, il fut le seul cuirassé américain à traverser les deux guerres mondiales : il était aux débarquements d'Afrique du Nord, de Normandie, de Provence, d'Hiroshima et d'Okinawa. Long de 174 mètres, il fut le premier navire recevant à son bord un avion. Il était équipé de dix canons de 350, six de 125 mm, dix de 75 et de 40 mm, et 44 canons de 20 mm. Il a résisté aux attaques des kamikazes japonais. Il avait 1810 hommes d'équipage et, en le visitant, on ne peut s'empêcher de se demander comment tant d'hommes pouvaient tenir à bord, confinés ensemble pendant des mois et des mois en mer.

(1) La fameuse Yellow Rose of Texas

 
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