Mémoire sudiste :
le premier sous-marin de guerre : le CSS Hunley

Le sous-marin sudiste Confederate States Ship (CSS) H.L. Hunley, le premier sous-marin de guerre de l’histoire ? Une grosse boîte de conserve. Avec, à l’intérieur, huit hommes qui se partagent cette boîte de sardines : treize mètres de long sur un mètre trente de haut et de large… Pour le faire avancer ? Un vilebrequin qui sert d’hélice.

A l’avant de l’engin, le capitaine, la main sur un levier qui sert à manipuler les ailerons de profondeur. Une barre de gouvernail sommaire. Une jauge de profondeur. Une boussole. Et, pour éclairer le tout, des bougies…

Horace L. Hunley

Plans posthumes dessinés par Simon Lake en 1899.

En 1863, les Sudistes, étouffés par le blocus nordiste de leurs ports, essaient ce sous-marin dans le fleuve Cooper qui arrose Charleston. Un premier essai. Et la mort de l’équipage. Un second essai. Et la mort de l’équipage. Dont celle de l’inventeur, Horace L. Hunley.

Il se trouve pourtant toujours des volontaires pour embarquer. A commencer par le lieutenant George Dixon, du 21e régiment de volontaires d’Alabama.

Fin décembre 1863, le CSS Hunley part au combat avec, à bord, une « torpille » contenant quarante-cinq kilos d’explosifs. Malgré les terribles courants de l’entrée du port de Charleston, le sous-marin fait route vers les bateaux nordistes. Mais, en vue des cibles, il faut renoncer : le maniement du vilebrequin géant a épuisé les hommes.


Quelques jours plus tard, au cours d’un nouvel essai, on passa à nouveau à deux doigts du drame : la « torpille » s’était prise dans le gouvernail. Le lieutenant Dixon décida alors de placer la « torpille » sur un espar fixé à la proue. L’idée était de s’en servir comme d’un bélier qui harponnerait le navire ennemi. Cette manœuvre réussie, il ne suffirait plus qu’à procéder à la mise à feu en tirant sur un cordon et à repartir en marche arrière pour éviter d’être pris dans l’explosion.

William Alexander, qui avait participé à la fabrication du CSS Hunley, a décrit la stratégie d’attaque : « Notre plan consistait à relever les positions des navires lorsqu’ils jetaient l’ancre pour la nuit et à mettre le cap sur l’un d’entre eux en restant à deux mètres sous l’eau et en faisant surface, de temps à autre, pour renouveler l’air et faire le point ! Une fois à proximité du vaisseau, il fallait remonter à la surface et se repérer une dernière fois avant de frapper, si possible sous la partie émergée de la proue. »

Début février, tout semble prêt pour passer à l’action. D’autant qu’un grand bâtiment nordiste, l’USS Housatonic mouille à trois milles de la batterie Marshall où se tient le CSS Hunley.
Le 17 février au soir, le sous-marin confédéré remonte jusqu’à l’embouchure de la rivière Breach. Le problème, c’est que les Nordistes avaient été prévenus de l’imminence d’une attaque. Pour y parer, le commandant de l’USS Housatonic, Charles W. Pochering, avait ordonné une surveillance de tous les instants. Ce 17 février, cette surveillance est d’autant plus aisée que la nuit est claire. La prudence aurait commandé que la mission d’attaque soit remise à une autre nuit. Mais il y avait trop longtemps que Dixon attendait de passer à l’action.

Vue en coupe, basée sur des esquisses de William A. Alexander, qui dirigea sa construction.

Arrivé à proximité du navire yankee, le CSS Hunley fut repéré. Aussitôt, les Nordistes ouvrirent le feu sur la coque d’acier. « On continue », commanda Dixon. On continuera. Jusqu’à entrer en contact avec l’USS Housatonic. Ce contact établi et la « torpille » ayant harponné la coque du navire ennemi, le CSS Hunley commença de se dégager. Témoignage de l’enseigne Charles Craven qui servait sur l’USS Housatonic :

« J’ai entendu l’officier de pont donner l’ordre à tous les marins de se tenir prêts. Je suis monté sur le pont et j’ai vu quelque chose dans l’eau, à dix mètres à tribord du navire. Le capitaine et l’officier de quart faisaient feu sur cet objet. J’ai, à mon tour, tiré deux coups de feu avec mon revolver comme il s’approchait du bateau. Et un troisième coup alors qu’il se trouvait presque sous la proue. J’ai dû me pencher par-dessus pour tirer.

« Puis je me suis rendu à mon poste de combat, le numéro deux, composé de quatre canons de 32 en sabords, et j’ai essayé avec le chef de la pièce numéro six de braquer celle-ci sur l’objet qui s’éloignait maintenant du bateau et se trouvait alors à treize ou quinze mètres. J’ai presque réussi et je m’apprêtais à tirer lorsque l’explosion se produisit. »

La « torpille » a fonctionné, en effet, mettant le feu à la poudrière du navire yankee. La proue de l’USS Housatonic fut arrachée, tuant au passage cinq hommes d’équipage. Frappé à mort, le navire nordiste commença de sombrer. « J’ai entendu une détonation lointaine, comme un obusier, expliqua plus tard Charles Craven. Puis le navire s’est enfoncé par la proue et, quelques minutes après que la proue eut été submergée, le reste du navire a sombré. »

 

 


Le Hunley s'avançant en plongée vers le Housatonic, une torpille fixée à son espar.

Médaillon qui pore le nom d'un volontaire de l'armée nordiste, peut-être espion à bord du sous-marin.

Une victoire pour les Sudistes. La première victoire sous-marine de l’histoire de la navigation. Mais une victoire amère puisqu’elle coûta la vie à l’équipage du CSS Hunley. Que s’était-il passé ? Jusqu’en août 2000, date du renflouage – historique lui aussi – du sous-marin sudiste, chacun y alla de son hypothèse.
La première supposait que l’explosion avait gravement endommagé le sous-marin qui avait alors été envahi par l’eau. Une autre expliqua que le CSS Hunley avait été intercepté par un navire nordiste, l’USS Canandaigua, et coulé.

En 1981, l’écrivain américain Clive Cussler sponsorisa deux expéditions pour retrouver l’héroïque sous-marin. Il fallut attendre 1995 pour que son équipe, appuyée par l’Institut d’archéologie et d’anthropologie de Caroline du Nord, localise le CSS Hunley. Dans Sous-marins, la fascinante aventure des guerriers du silence (Tallandier, 2002), Robert D. Ballard raconte cette extraordinaire découverte :

 

« L’épave gisait sur le côté, son écoutille avant toujours fermée de l’intérieur. Le hublot d’observation avait perdu son panneau de verre – peut être brisé par un marin désespéré. Lorsqu’un des plongeurs de l’expédition parvint à s’y faufiler, il trouva l’intérieur du submersible entièrement rempli de limon qui avait préservé l’intérieur de l’épave des attaques du temps. On repéra également l’aileron de profondeur bâbord du sous-marin. Le flotteur était en position ouverte, mais les tubes d’aération – longs d’un mètre vingt environ – étaient cassés aux jointures. »

En août 2000, le CSS Hunley remontait des ténèbres, plus de cent trente ans après son action héroïque. Pour le renflouer, les plongeurs avaient placé trente-deux sangles au-dessus de la coque remplie de sable et d’eau. Transporté au centre de conservation de Warren Lasch, sur le site de l’ancienne base navale de Charleston, le CSS Hunley fut examiné sous toutes ses coutures.

Vue latéral et plongeante

On retrouva aussi les restes de l’équipage. Avec des fragments de vêtements et des objets personnels. Parmi ceux-là, une pièce de 20 dollars-or qui appartenait au lieutenant Dixon. Elle lui avait été offerte en 1860 par sa fiancée, Queenie Bernet. A la bataille de Shiloh, en 1862, cette pièce sauva Dixon en arrêtant la balle yankee qui aurait dû le tuer. Il avait alors fait graver sur cette pièce déformée, cette pièce ramenée du fond des eaux : « Shiloh / April 6, 1862. My Life Preserver / GED » (« Shiloh, 6 avril 1862. Le sauveur de ma vie. GED [George E. Dixon]. »

Robert D. Ballard indique : « Les restes des hommes d’équipage furent retrouvés à leur poste, ce qui semble indiquer qu’il n’y a pas eu de scène de panique pour sortir du vaisseau. Après le naufrage du Housatonic, le sous-marin a fait machine arrière, lancé un signal de victoire vers le rivage, puis il a sombré. »

L’examen du CSS Hunley se poursuit toujours. Et, écrit encore Robert D. Ballard, ses restes rouillés recèlent encore une mine de trésors et de secrets : « Par exemple, le sous-marin lui-même était beaucoup plus perfectionné que ne le pensaient la plupart des spécialistes, ce qui a porté ces derniers à réviser leur opinion sur le niveau technologique des Etats du Sud pendant la guerre de Sécession »

Dessin montrant la position du Hunley sur le fond de la mer


Pièce de 20 dollars-or déformée qui appartenait au lieutenant George E. Dixon

 

Parmi les autres mystères, un médaillon nordiste portant le nom d’un soldat yankee : « Ezra Chamberlin, unité K, 7e régiment de volontaires du Connecticut ». Le médaillon se trouvant au cou d’un des membres de l’équipage du CSS Hunley, on se perd en conjectures. Etait-ce un trophée récupéré lors de l’attaque du Fort Wagner en juillet 1863, attaque au cours de laquelle Chamberlin fut donné comme mort au combat ? Chamberlin, blessé à mort, l’avait-il donné à un Sudiste pour qu’il avertisse sa famille au Connecticut ? Ou bien s’agissait-il de Chamberlin lui-même qui, ayant survécu à la bataille de Fort Wagner, avait décidé de passer dans les rangs des Confédérés ? On ne le saura sans doute jamais.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le 17 février 1864, le lieutenant Dixon et l’équipage du CSS Hunley ont donné leur vie pour frapper à mort une goélette yankee qui asphyxiait Charleston – c’est là, à Fort Sumter, que la guerre commença en 1861 (1) – dont la rade fut le théâtre des plus féroces combats de la guerre entre les Etats. Malgré la mobilisation de la plus grande flotte de cuirassés que le monde ait jamais vue et d’innombrables attaques terrestres, les Sudistes, galvanisés par Beauregard, ne cédèrent pas un pouce de terrain.

Alain Sanders

(1) Et là que la Caroline du Sud vota la sécession avant même l’« incident » de Fort Sumter.

Tableau de Dowdey (au fond, la navire nordiste Housatonic coulé par le Hunley)

       

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