Les Zippos de la guerre du Vietnam

 

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Très présent pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, le Zippo, ce briquet de légende windproof – inventé en 1933 par George C. Blaisdell – fut un des acteurs incontournables de la guerre du Vietnam.

D’abord parce qu’il fut un compagnon précieux et fidèle des combattants, mais aussi parce que ces derniers les « enjolivèrent » d’inscriptions gravées – souvent par des artisans sud-vietnamiens – et qu’ils devinrent ainsi, au fil du temps, des objets de collection.

Pour personnaliser leurs Zippos, les soldats y firent graver leur nom, celui de leur unité, des cartes du Vietman, des slogans, des citations (parfois tirées de la Bible). Et l’on ne compte plus les récits d’anciens du Vietnam qui racontent la relation quasi affectueuse qu’ils entretenaient avec ce briquet pas vraiment comme les autres. Des récits notamment repris dans un ouvrage paru en 1997, The Orange County Register.

On a coutume de dire que si, au Vietnam, il y avait six GI’s rassemblés pour une partie de poker, il y avait aussi six Zippos en service. Des zippos portés dans la poche de poitrine du battle-dress, la légende voulant que nombre de soldats aient dû la vie sauve à leur briquet qui avait arrêté une balle qui les visait en plein cœur. Selon la Zippo Manufacturing Co., quelque 200 000 Zippos ont été utilisés pendant la guerre du Vietnam.

Dans un pays où la boue, la pluie, une formidable humidité étaient le lot commun des combattants, le Zippo n’a jamais lâché un de ses utilisateurs. Les GI’s apprirent très vite à cuisiner avec leurs Zippos (quatre Zippos assemblés font un très efficace réchaud), à se réchauffer ou à allumer du plastic C-4. Placé sous un casque, le Zippo pouvait servir à faire bouillir de l’eau.

Jim Collins, qui fit un séjour à Bien Hoa en 1967-1968, explique :
— Vous pouviez ouvrir votre Zippo avec une main et, d’un coup de doigt, l’allumer sans problème, mettre la flamme en veilleuse ou faire une flamme de cinq pieds. Un tas de trucs qu’on pouvait faire et qui nous changeaient les idées entre des moments plus mémorables…

La plupart du temps, nous l’avons dit, les combattants faisaient inscrire sur leurs Zippos le nom des endroits où ils avaient servi : « Vietnam, 67-68, Vung Tan », « Vietnam Nha-Trang, 70-71 », « Vietnam, 63-70, Dong Du », « Vietnam, Long-Binh, 69-70 », etc. S’y ajoutaient souvent une carte du Vietnam du nord au sud, avec un seul nom au nord : Hanoi, et un chapelet de villes – emblématiques à tous égards – au sud : Hué, Danang, Pleiku, Ankhe, Qui Nhon, Bien Hoa, Saigon, Camau… Et puis des textes. Voici quelques exemples (pris dans ma collection personnelle constituée en partie au Sud-Vietnam dans les années 1970) :

God Said Let Their Be Marines And All The Fish Rose from The Sea (« Dieu a dit laissez-les devenir des Marines et tous les poissons se sont dressés du fond des mers »).

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It Seems The Days in The Army Are The Longest Days On The Earth (« Il semble que les jours dans l’armée sont les jours les plus longs sur cette terre »).

I’ve Already Tired War 50 Now I’ll Give Peace A Chance (« J’ai déjà épuisé la guerre, aussi vais-je maintenant donner une chance à la paix »).

Yea Though I Walk Through The Valley Of The Shadow Of Death I Will Fear No Evil For I Am The Evilest Son Of A Bitch In The Valley (« Yeh, bien que je marche dans la vallée des ombres de la mort, je ne craindrai aucun diable car je suis le plus diabolique fils de p… dans cette vallée »).

— Sur une représentation de Snoopy, en tenue habituelle d’aviateur sur sa niche, le cri du cœur du sympathique héros des Peanuts : « Fuck You, Red Baron ! » (vas-te faire f… Baron rouge ! »)

I’ve Already Made My Time In Hell In Vietnam, I’ll Go Directly To Heaven After Death (« J’ai déjà fait ma part d’enfer au Vietman, j’irai directement au paradis après ma mort »).

— Etc

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« Mon Zippo, explique Joe Matyasik, un ancien Marine, c’est l’une des rares choses que j’ai rapportées de là-bas. » Son briquet il l’a acheté, lui, à une quinzaine de kilomètres de Danang (l’ex-Tourane des Français), en septembre 1965. Un Zippo vraiment, le briquet de Joe ? Non, un Zenith, une copie du Zippo de légende, comme il s’en apercevra bientôt… « N’empêche, dit-il, j’ai utilisé ce briquet de toutes les façons possibles et imaginables. »
John Dalhem, n’a jamais fumé. Mais il avait son Zippo – et il l’a conservé – acheté en 1968 : 1,50 dollar cinquante de l’époque pour le briquet et 25 cents pour le faire graver de son nom. Par la suite, il en acheta un sur lequel il fit graver le nom de sa femme.

Michael Johnson continue de se servir du Zippo qui lui avait été offert par son équipage en 1971 alors qu’il était pilote d’un gun ship avec les Bérets verts. Il a pu le faire réparer à plusieurs reprises à la fabrique à Bradford, Pennsylvanie. Sans problème : un Zippo est garanti à vie. Aujourd’hui comme hier, vous confiez votre briquet à un dépositaire de la marque n’importe où dans le monde. Et vous le récupérez quelques jours plus tard, en parfait état de marche. Zippo n’a jamais fait payer un seul cent pour la remise en fonction d’un des briquets de sa marque.
— J’ai des uniformes, des photos, des médailles, des décorations, dit encore Michael Johnson, mais ça ne signifie plus grand chose pour moi. En revanche, il suffit que je sorte mon Zippo et, en une seconde, vous vous souvenez de ceux qui ne sont plus là.

Son Zippo, Jim Collings l’a récupéré dans des circonstances particulières : dans un lot de prétendus cadeaux de Noël envoyés aux soldats. Il s’agissait en fait de colis composés d’objets déglingués et inutilisables rassemblés par des radicaux américains opposés à la guerre du Vietnam. Dans ce fatras, un Zippo hors service et accompagné d’un mot charmant : « J’espère qu’on le trouvera sur votre cadavre. » L’ayant fait réparer, Collins y fit graver son nom, une date : « 68 », et ces mots : « Fighters by day, lovers by night, drunkards by choice » (« combattants le jour, amants la nuit, soiffards par choix ») :
— Il avait été envoyé par de sales types, mais il s’est révélé être une bénédiction pour moi. J’aurais aimé pouvoir remercier ces sales types…

Autre souvenir, celui de John Venti :
— J’étais au Vietman dans la First Air Cavalry en 65 et 66, dans un hélicoptère Ch-47 Chinook. On s’était fait envoyer au tapis deux fois. J’avais des briquets faits pour notre équipe à Saigon en 1966, avec nos noms gravés. Nous étions très unis, très solidaires. Je n’ai pas gardé le mien parce qu’une fille avec qui j’étais allé aux chutes du Niagara avait flashé dessus et que je lui ai donné. Mais j’ai toujours un Zippo sur moi car c’est un briquet qui ne vous lâche jamais.

« Moi, confie Gary O’Neil, j’étais au Vietnam en 67-68. Sur mon Zippo, j’avais fait graver les noms de tous les endroits où j’étais allé au Vietnam. A mon retour, je suis allé à une soirée au collège Santa Ana. J’avais mon briquet. Je l’ai montré à quelques personnes et, bientôt, un gamin m’a accosté. Il m’a regardé comme si j’étais mort et m’a dit : « Pourquoi tu es rentré au pays et pas mon frère ? » Je n’ai toujours pas la réponse aujourd’hui. J’étais allé au lycée avec le frère de ce gamin. Après ça, j’ai mis mon Zippo dans une boîte. Il s’y trouve encore. Mon père, qui avait servi en Inde pendant la Seconde Guerre mondiale, avait aussi le sien. Où que j’aille mon Zippo vient avec moi. Je ne l’ai pas rapporté de 10 000 miles de chez moi pour le laisser à n’importe qui. »

Les Zippos du Vietman les plus recherchés aujourd’hui sont ceux des corps d’élite : Bérets verts, Seabees, paras, Rangers, Rat Caves (« les rats de cave », des soldats de petites tailles qui pénétraient, au péril de leur vie, dans les tunnels infestés de Viets). Mais aussi ceux plus personnalisés : W.E. « Tom » Thomas III, TMI ; Boat Capitaan PBR840, River Division 593, Coastil Division Eleven, etc.

Autre témoignage, celui de John Sawmill :
— J’avais un Zippo quand j’ai rejoint l’armée en 1960. J’étais stationné à Hawaï. J’y suis resté jusqu’en 1962. A cette date, mon unité, la 25 th Infantry Division, fut la première unité envoyée au Vietnam, juste après que j’eus terminé mon temps. J’ai gardé mon Zippo pendant toutes ces années bien que je n’aie pas fumé une cigarette en trente ans. Je me suis marié en 1990 et, avec ma femme, nous sommes partis à Hawaï en lune de miel. J’avais mon briquet avec moi.
Si, à deux mois près, John Sawmill a échappé au Vietnam, Chuck McDonald a servi dans la Navy, lui, sur l’USS Alamo à Subic Bay aux Philippines en 1971.

— Un jour, un marin australien bourré est venu me voir et m’a dit : « Je veux ton Zippo. » Je lui ai répondu : « Il n’est pas à vendre. » Ça ne l’a pas calmé : « Je te donnerai tout ce que tu veux, même la chemise que je porte. » J’ai pensé : ma foi, ce n’est peut-être pas mal de rapporter comme souvenir une chemise de la marine australienne. Il a retiré sa chemise et je lui ai donné mon Zippo, et je ne sais pas trop dans quel état il a regagné son bateau, l’une des règles militaires de la Navy étant que vous devez monter à bord en tenue complète. Quant à moi, je suis allé à la boutique de l’USS Alamo et je me suis racheté un Zippo. Je l’ai encore.

Il y a eu – et il y a encore – de très nombreuses imitations du Zippo. Des copies fabriquées en Corée et au Japon et baptisées « Zippu » ou « ZPPO ». Il y eut même un modèle vendu sans vergogne sous le nom de « Zippo, Bradford, PA. » Ces copies, vendues très en dessous du prix de l’original bien sûr, et aussi de qualité nettement inférieure, piégèrent de nombreux « bleus ». Qui ne découvraient l’escroquerie que lorsqu’ils tentaient de faire réparer ces pâles imitations – qui les lâchaient après trois, quatre jours d’utilisation – à la maison-mère.

Les spécialistes, eux, ne s’y trompèrent jamais : manque de poids, métal et finitions approximatifs et, surtout, le fameux « click » qui n’était plus qu’un pauvre et misérable cliquetis.

Depuis sa création en 1933, le Zippo a fait le bonheur – et la fierté – de dizaines de millions d’utilisateurs dans le monde. Depuis quelques années, la marque se décline sous de nombreuses formes : couteaux, coupe-cigares, stylos, pinces à billets, plaques commémoratives, etc. Et le briquet lui-même a pris différents aspects (pas toujours très réussis).

Pour en savoir plus, on ne saurait trop conseiller la visite de la Manufacturing Company à Bradfort (Pennsylvanie) et la consultation de quelques sites consacrés à cette légende : www.zippo.com ou www.zippocanada.com par exemple.

Alain Sanders

Note : tous les zippos affichés appartiennent à la collection personnelle d'Alain Sanders.

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