Il n’est sans doute plus besoin de présenter Gore Vidal qui est un des grands noms de la littérature américaine contemporaine. Mais on ne l’attendait pas forcément, par le biais d’un grand roman historique sur un sujet aussi casse-gueule, aussi ticklish (chatouilleux, irritant), comme on dit en américain. Car, même s’il y a longtemps que les Américains, en général, et les Sudistes en particulier, n’ont plus d’illusion sur Lincoln dont on a eu tendance à faire une figure de vitrail, le chantre de l’Union reste une sorte d’icône intouchable.

Gore Vidal, quand bien même il est plus yankee que sudiste, ne participe pas de cette révérence quasi obligée envers un homme qui déclencha une guerre sanglante contre les rebelles confédérés. Et le portrait qu’il nous en brosse, en nous faisant pénétrer au cœur même des pensées de Lincoln, n’est pas exactement à l’avantage de l’icône.

Un simple « roman historique » ce Lincoln qu’on lit effectivement comme un roman ? Beaucoup plus que ça. Une approche fine et historiquement très peaufine d’un personnage qui, pour des raisons qui n’eurent – en leurs débuts au moins – rien à voir avec l’abolitionnisme (transformé plus tard en cause « humanitaire »), mit toutes ses forces à maintenir l’Union. Au prix d’une boucherie.

L’une des parties les plus fortes de ce grand livre est sans doute la mise en scène de l’épouse de Lincoln, Mary, dépensière maladive et compulsive qui pilla le budget de l’Etat.

Et l’on peut même avancer que, pour écluser ses dettes les plus criantes, elle « vendit », contre espèces sonnantes et trébuchantes, des documents confidentiels à la presse. Mentalement peu équilibrée (hystérique au sens médical du terme, elle finira par sombrer dans la démence), elle eut, il faut bien le dire, à pleurer la mort de deux de ses enfants. La majeure partie de sa famille, originaire de Kentucky, comme elle, avait pris fait et cause pour la Confédération. Etait-elle, pour sa part, une abolitionniste convaincue ? Rien n’est moins sûr.

Gore Vidal le sait qui met dans sa bouche ces propos : « Il faut que tous ces gens-là comprennent bien ceci, c’est que M. Lincoln n’est pas partisan de l’abolition de l’esclavage. Il désire seulement ne pas l’étendre à d’autres territoires. Un point c’est tout. »

Et ce n’est pas le moindre paradoxe de cette guerre qui opposa un Lincoln, dont on pourrait multiplier les déclarations « racialistes », au général Lee, commandant en chef des armées confédérées, qui tenait l’esclavage pour un mal absolu…

Les protagonistes de ce Lincoln flamboyant sont des personnages historiques. Du général McLellan à Grant en passant par Seward, Chase, Washburne, Pinkerton, etc. On mesure au fil des pages combien le sort de cette guerre – une « guerre civile », disaient les Yankees, une « guerre entre les Etats », disaient les Sudistes – s’est joué sur des coups de dés.

Reste que Lincoln, considéré aujourd’hui, au moins au Nord, comme l’un des plus grands présidents des Etats-Unis, fut un personnage particulièrement ambigu. Et s’il n’avait été assassiné le 15 avril 1865… Mais ça, c’est une autre histoire.

Alain Sanders

- Galaade Editions, 108, rue Damrémont, 75018 Paris.

 

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